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Un Centre Pompidou plus bavard

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2015 - 926 mots

PARIS

Les orientations stratégiques annoncées cette rentrée par le nouveau président, Serge Lasvignes, ne sont au fond pas très différentes de celles de son prédécesseur. Les questions qui font débat sont éludées.

PARIS - Déterminé à muscler la capacité de rayonnement de l’institution dont il venait de prendre la présidence, Alain Seban voulait en 2007 multiplier les Centre Pompidou : une antenne au Palais de Tokyo (Centre Pompidou-Alma), les « Centre Pompidou mobile », le Centre Pompidou-Metz (déjà lancé), le Centre Pompidou-Málaga (qui le sera plus tard) et le « Centre Pompidou virtuel ». En cours de route, cependant, il avait dû un peu revoir ses ambitions.

Huit ans plus tard, dans le même exercice de présentation de ses orientations stratégiques, Serge Lasvignes semble prendre le contre-pied de son prédécesseur : « Je ne crois pas à une politique de marque comme une chaîne de fast-food », a-t-il lancé lors de la conférence de presse. Mais dans la pratique, il ne s’éloigne guère des dernières orientations de son collègue énarque. Les CP mobiles abandonnés ne seront pas réactivés, et il souhaite ouvrir une antenne du Centre dans le Grand Paris, ce en mettant à profit le déménagement des réserves dans un nouveau lieu ouvert au public. De même, le « banc d’essai » du CP-Málaga devrait trouver d’autres avatars dans le monde, à commencer par la Chine, très prochainement.

En 2007, Alain Seban faisait le constat que l’image de l’institution était brouillée sans pour autant étayer son affirmation. Le 10 septembre, si Serge Lasvignes s’est bien gardé de se prononcer sur l’image, il a pris le risque de la rendre confuse en misant sur l’interdisciplinarité qu’il considère être « un marqueur du Centre, et une caractéristique de l’art contemporain ». Cette orientation stratégique n’est pas infondée puisqu’elle est dans l’ADN du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, et le précédent président l’avait réaffirmée en créant en 2009 avec Bernard Blistène – alors directeur du Département du développement culturel – ce laboratoire de l’interdisciplinarité qu’est le Nouveau Festival. Mais elle n’a plus rien de singulier, la plupart des grands musées d’art contemporain se sont engagés dans cette voie. Et sa mise en œuvre, au-delà de la posture convenue, n’est pas aisée, Serge Lasvignes a d’ailleurs confié à « un groupe de travail le soin d’élaborer un projet culturel commun ».

Jeune création et numérique
Comme son prédécesseur, le président veut ouvrir plus largement le Centre à la jeune création, une figure imposée pour tout musée d’art contemporain qui se respecte. Il va ainsi vouer un espace de 400 m² situé au 4e étage aux jeunes créateurs et créer un festival dénommé « Cosmopolis », qui dès 2017 exposera les travaux réalisés l’année précédente par « une communauté d’artistes »… dont les contours sont encore flous. Autre figure imposée : le numérique, tout aussi cher à l’ancien président. Le nouveau n’a pas critiqué le calamiteux site Internet, mais le document remis aux journalistes annonce que la convivialité du site sera améliorée, sans autres détails. Il faudra également attendre encore un peu pour savoir ce que Serge Lasvignes entend par « un lieu de référence dans l’usage du numérique par les artistes ».

Les sujets qui fâchent
Le président a en revanche soigneusement évité les sujets de débat récurrents : la place des artistes français dans la programmation, l’intérêt des expositions « blockbuster » telle « Jeff Koons », la location déguisée des œuvres à l’étranger. Plus gênant, ses « lignes d’action » oublient la collection du Musée national d’art moderne et la définition d’une politique d’acquisition. Son prédécesseur donnait le sentiment de multiplier les initiatives pour enrichir les collections, afin de bâtir une collection représentative de l’art moderne et d’aujourd’hui – sans toutefois avoir jamais affiché clairement les manques à combler. On en saura sans doute un peu plus sur le sujet à l’issue d’un séminaire sur le sujet que Bernard Blistène, aujourd’hui directeur du Musée national d’art moderne, va animer le 16 octobre avec ses équipes.

Finalement, la vraie nouveauté réside dans le renforcement de l’engagement sociétal du Centre. Université populaire, forum annuel « art et innovation », expositions sur les luttes civiques ou le travail, le nouveau président veut faire du Centre un vaste et permanent forum. Un programme sans doute moins cher à organiser qu’une exposition sur Matisse, et qui va réjouir le personnel et les étudiants de la BPI, mais il n’est pas sûr qu’il plaise aux mécènes de l’industrie du luxe que l’ex-secrétaire général du gouvernement souhaite pourtant courtiser davantage.

Un style très différent

Si ses orientations ne sont fondamentalement pas très différentes, le style de Serge Lasvignes tranche avec celui d’Alain Seban. Le nouveau président du Centre Pompidou partait avec un handicap : son image de technocrate parachuté. Il s’est intelligemment attaché à la gommer. En 2007, Alain Seban, droit derrière son pupitre, déroulait des diapositives PowerPoint dignes des grands cabinets de conseil. En 2015, l’ex-secrétaire général du gouvernement arpente l’estrade, fait des moulinets avec ses mains, en affichant uniquement, durant tout le temps de sa conférence de presse de rentrée, deux photos : une image récente de migrants et une œuvre de Kader Attia, Ghost (2007), qui lui fait étrangement écho. Le message est multiple : primauté des œuvres, engagement sociétal, prépondérance de l’humain sur « les plans quinquennaux ». Les deux présidents ont grandi en Haute-Garonne, mais seul le nouveau en a gardé l’accent, qui confère plus de chaleur encore aux nombreuses citations de Proust ou Apollinaire jalonnant son propos, rappelant opportunément qu’il n’est pas polytechnicien mais agrégé de lettres.

Légende photo

Serge Lasvisgnes présentant sa stratégie pour le Centre Pompidou. © Photo : Hervé Véronèse/Centre Pompidou.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Un Centre Pompidou plus bavard

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