Reconstitution

Rocaille à tout prix

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2014 - 802 mots

Vingt années auront été nécessaires pour redonner au château d’Asnières un lustre XVIIIe siècle qui manque un peu d’authenticité.

ASNIERES-SUR-SEINE - Une longue période de travaux vient de s’achever au très malmené château d’Asnières. Bâti entre 1750 et 1752 sur les plans de Jacques Hardouin Mansart de Sagonne, l’édifice a connu une destinée chaotique qui commence en 1769, lorsque son premier propriétaire, le marquis de Voyer d’Argenson, démeuble le bâtiment et s’en sépare pour régler ses dettes. Devenant un lieu de fête célébré par Offenbach dans La vie parisienne sous le second Empire ou un pensionnat entre la fin du XIXe et le XXe siècle, le domaine s’est réduit comme peau de chagrin. Le parc a été morcelé en lotissements, le château a perdu une aile, les décors rocaille réalisés par l’ornemaniste Nicolas Pineau ont été dispersés et la façade a été dépecée de ses sculptures exécutées par Nicolas II Coustou. À partir de 1975, le château, qui passe entre les mains indécises de la Ville et du conseil général, tombe dans l’abandon et le délabrement. La municipalité d’Asnières l’acquiert définitivement en 1991 et entame – épaulée par l’association des amis du château et du vieil Asnières – des travaux visant à rendre au château son lustre. Pendant plus de vingt années de chantier entrecoupées d’arrêts, les architectes en chef des Monuments historiques (ACMH) Hervé Baptiste et Frédéric Didier (à partir de 2005) vont travailler à redonner au lieu son esthétique du XVIIIe siècle.

Sur le modèle de Versailles

C’est à l’extérieur qu’ont commencé les travaux. Tandis que la façade a été restaurée, son avant-corps a retrouvé les statues qui lui manquaient, du moins une copie. Moulés d’après les sculptures originales conservées aujourd’hui dans une demeure de Newport (Etats-Unis), Apollon et Vénus ornent à nouveau la façade. Les trophées d’armes qui surplombent l’édifice ont eux été copiés sur un modèle versaillais. « Je vois Versailles partout », confesse Frédéric Didier, l’architecte du château royal depuis 1990 qui, a restitué une grille versaillaise très contestée en 2008, à partir notamment de modèles analogiques de différentes grilles du XVIIe siècle. Vidé de l’essentiel de ses décors, l’intérieur du château asniérois a quant à lui reçu dix années de travaux. « Les restaurations ont été peu nombreuses. Beaucoup d’éléments ont été reconstitués », indique Frédéric Didier. Pour ressusciter l’époque du marquis d’Argenson, l’architecte a disposé de plusieurs sources : photographies, dessins de Nicolas Pineau, archives de la famille d’Argenson… ainsi que les traces de l’existant que les murs ont conservé. À partir de là, les partis pris ont été très divers. Des copies – plus ou moins fidèles selon la précision des archives – voisinent avec des trompe-l’œil en bois. « Nous avons également placé des équivalences, c’est-à-dire des pièces achetées sur le marché de l’art pouvant s’approcher de l’original au niveau du style et de l’époque. Et nous avons laissé des pièces sans décor quand on ne pouvait pas combler les lacunes des archives », explique Frédéric Didier.

Restauration controversée

Ruiné et en partie étayé il y a quelques années, le premier étage – dont les travaux viennent de s’achever – navigue aujourd’hui entre une sobriété contemporaine toute fonctionnelle et une résurgence rocaille. Ainsi l’intérieur de l’alcôve de la « chambre chinoise » s’est vu recouvert de motifs sinisants, invention rappelant les motifs des tentures de l’époque du marquis de Voyer. Si l’ensemble des pièces combine trop de différents choix de reconstitutions pour avoir un véritable intérêt historique et pédagogique, c’est l’antichambre de la marquise, présentée comme le point d’orgue du parcours, qui fait débat. Sous des couches de couleurs apposées au XXe siècle ont été retrouvées des peintures en grisaille attribuées au peintre lombard Paolo Antonio Brunetti (1723-1783). Ces trompe-l’œil représentant des vases et éléments décoratifs placés dans des niches étaient extrêmement lacunaires. Les fragments ont été soigneusement restaurés et consolidés, toutes les lacunes ont également été comblées et une grande partie du décor manquant a été restitué après de longues déductions sur la composition symétrique de la pièce. « Le traitement de ces grisailles, qui répondait à l’exigence de rendre à la pièce sa lecture totale, n’a pas remporté l’adhésion de toute notre équipe », explique Stéphanie de Ricou, directrice de l’atelier qui a pratiqué cette restauration très interventionniste souhaitée par Frédéric Didier et validée par la Direction régionale des affaires culturelles, le lieu étant classé. « Notre travail est évidemment réversible », précise Stéphanie de Ricou ajoutant que la restitution reste visible pour « les yeux avertis ». « La partie peinte à l’huile par Brunetti est plus brillante et notre intervention plus mate. » Le château, qui va accueillir des manifestations culturelles et professionnelles, cherche aujourd’hui un mécène pour reposer des boiseries, d’origines celles-ci, dans la chambre du marquis victime d’une infiltration. Les travaux ont déjà mobilisé dix millions d’euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Rocaille à tout prix

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