Architecture

Restaurer une dérestauration

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2011 - 579 mots

En plein débat sur les restitutions de tout ou partie de monuments, un propriétaire privé a fait un pari audacieux à Courances.

COURANCES - C’est une restauration atypique qui vient d’avoir lieu dans la propriété familiale des Ganay, à Courances (Essonne), à une vingtaine de kilomètres de Fontainebleau. À l’automne dernier, les travaux de restitution de deux lucarnes du grand comble de ce château en brique et pierre, construit au début du XVIIe siècle mais profondément modifié au fil du temps, ont été achevés sous la direction de l’architecte du patrimoine Antoine Jouve. Ces lucarnes avaient été détruites dans les années 1960 après une restauration initiée par le propriétaire des lieux, le marquis Jean-Louis de Ganay, et destinée à restituer l’état Louis XIII du château. Pour renouer avec davantage de sobriété, la forêt d’épis de faîtage, pots à feu et lucarnes sculptées embellissant la toiture du corps central, fruit d’une intervention du XIXe siècle de l’architecte Hippolyte Destailleur (1822-1893, il a également œuvré à Vaux-le-Vicomte) avait alors été détruite. Partisan de l’historicisme, Destailleur a également été à l’origine de la construction, en façade, d’un monumental escalier en fer à cheval, copie servile de celui de la cour d’honneur du château de Fontainebleau. Seul celui-ci, tout comme une lucarne centrale, avait réchappé à cette lourde campagne de dérestauration. 

Esthétique désastreuse
Classé entre-temps monument historique, le château n’avait subi aucune modification depuis ces travaux. Mais, en 2003, dans un article documentant son architecture publié sous la direction de la fille du propriétaire, l’historien Alexandre Gady a mis les pieds dans le plat (1). Le spécialiste de l’architecture du XVIIe siècle y déplorait le résultat esthétique désastreux de cette dérestauration du grand comble. « J’ai été convoqué chez le marquis qui m’a dit : jeune homme, vous avez raison je me suis trompé alors recommençons », raconte Alexandre Gady. L’architecte du patrimoine Antoine Jouve, auteur des travaux d’aménagement du Musée de la chasse et de la nature, à Paris, est alors sollicité pour mener l’opération. Le monument étant classé, un dossier est constitué pour convaincre l’inspection des Monuments historiques. Celle-ci accepte le projet à la vue des maquettes grandeur nature, fabriquées pour l’occasion à partir de dessins des lucarnes conservés à Berlin dans un fonds Destailleur. La décision est toutefois prise de ne pas restituer la sculpture et d’opter ainsi pour un état intermédiaire qui vise d’abord à rééquilibrer le dessin de la façade par rapport à l’escalier central. Mais en plein débat sur les restitutions et reconstructions de monuments historiques, une telle intervention, menée à des fins purement esthétiques, était-elle vraiment impérative ? « C’est critiquable, reconnaît volontiers Alexandre Gady, qui a jusque-là milité activement en faveur du respect de la doctrine de restauration des monuments historiques, et s’est notamment opposé publiquement au projet de reconstruction du palais des Tuileries. Il s’agit d’une restauration qui restaure une dérestauration, ou plutôt de la correction d’une mauvaise restauration qui redonne une bonne lecture de l’architecture du château. Mais sur le principe, c’est aussi un viol de la règle que je défends car il s’agit bien d’une restitution. ». Si le château de Courances, qui est davantage connu pour ses jardins, n’est certes pas un monument majeur, cette intervention très ciblée pose donc bien la question de la pertinence de cet incessant mouvement de balancier entre restauration et dérestauration de ces palimpsestes que sont les monuments historiques.

(1) Courances, collectif, sous la direction de Valentine de Ganay et Laurent Le Bon, éd. Flammarion, 2003

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Restaurer une dérestauration

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