1900

Restauration (g)astronomique

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2014 - 819 mots

Le restaurant Belle Époque de la gare de Lyon a rouvert après des travaux
de restauration et d’embellissement menés à un train d’enfer.

PARIS - Le ballet des plats a repris au Train Bleu. Le célèbre restaurant gastronomique élevé face aux quais de la gare de Lyon pour l’Exposition universelle de 1900 a rouvert sa porte tournante à la clientèle après un vaste chantier de restauration et de modernisation. La tâche n’a pas été aisée pour la vingtaine de restaurateurs et décorateurs mobilisés sous la maîtrise d’œuvre de Christophe Bottineau, architecte en chef des Monuments historiques, et l’agence d’architecture Duthilleul.
De mars à juin, les opérations de restauration des murs se sont déroulées aux heures les plus noires de la nuit, afin de laisser le restaurant fonctionner en journée. Ce n’est qu’en juillet que le restaurant a fermé, pour accueillir le gros œuvre. « Une course contre la montre pour ouvrir le 12 septembre », témoignent plusieurs acteurs du chantier.

Redonner aux toiles, lustres, stucs, papiers peints, boiseries… du restaurant leur éclat d’origine : tel est le premier bénéfice de ce chantier. Le Train Bleu s’était considérablement encrassé. « Il a connu beaucoup de fumée, celle des trains et celle des cigares », explique Serge Pitiot, conservateur régional des monuments historiques, en charge de la surveillance des travaux sur les cinq pièces classées monuments historiques qui sont pourvues d’importants décors paysagers et végétaux.
Sur les murs et plafonds, les quarante et une toiles marouflées représentant les destinations desservies par le chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée ont été minutieusement dépoussiérées. Sous la crasse, l’état de ces œuvres s’est révélé heureusement très bon. « L’endroit, exploité sans interruption, est très salubre. Il n’y a pas d’infiltrations ni de gros décollement de la toile. Nous avons comblé quelques éclats mais nous n’avons ni touché à la couche picturale ni retiré de vernis », se réjouit la conservatrice restauratrice Marie Parant.

Les foisonnants stucs néobaroques qui encadrent les peintures ont bénéficié d’une intervention plus importante. Les teintes d’origine, disparues au fil du temps derrière des coups de pinceaux venus maladroitement rafraîchir les murs, ont été retrouvées.

Un mobilier en partie cédé aux enchères
Le mobilier du lieu a été considérablement épuré. Le 30 juin, le marteau de Jakobowicz et associés dispersait 182 meubles et pièces de vaisselle lors d’enchères publiques. Trop nombreux, trop imposants, trop abîmés…, les meubles du Train Bleu – non protégés monuments historiques – embarrassaient l’exploitant du lieu et maître d’ouvrage du chantier. « SSP (*) aurait voulu vendre tous les meubles pour accueillir des pièces résolument contemporaines », témoignent plusieurs acteurs du dossier. Il n’en a pas été ainsi. Les négociations avec les services du ministère de la Culture auront permis de conserver une importante part du mobilier d’origine, en particulier les banquettes coiffées de portemanteaux sur lesquelles les clients s’assoient depuis plus de cent ans.

Parmi le mobilier de tout âge (témoignant du renouvellement permanent des meubles du Train Bleu au cours de son histoire) dispersé aux enchères, on recense quelques pièces du début du XXe siècle. C’est le cas de deux imposants buffets Saint-Hubert, placés dans les murs du restaurant dès son ouverture. « Une perte regrettable pour le Train Bleu », reconnaît Serge Pitiot, mais que rien dans l’appareillage juridique actuel n’aurait pu empêcher. À l’occasion de cette vente, la Société pour la protection du paysage et de l’esthétique de la France (SPPEF) a rappelé son souhait de voir l’avènement d’une loi permettant de classer un ensemble mobilier et de l’assigner à résidence dans un édifice auquel il est étroitement lié par son histoire. Une mesure prévue dans l’avant-projet de loi Filippetti (lire le JdA no 411, 11 avril 2014).

Le bleu gagne du terrain
Aujourd’hui, de nombreux meubles contemporains ont pris place au Train Bleu. De discrets buffets en bois, percés pour permettre l’accès aux prises électriques ont remplacé les Saint-Hubert dans la salle dorée et des sièges gris basalte ont chassé les fauteuils club chesterfield des années 1980-1990 dans le salon algérien. Le moderne d’aujourd’hui chasse celui d’hier et l’harmonie sombre des bruns et des rouges a été grignotée par le bleu pour rappeler le thème méditerranéen des peintures. On retrouve ce bleu sur les garnitures des banquettes (1), les nouveaux rideaux ou les murs du nouveau salon marocain, édifié dans d’anciens bureaux, non classés. Les parties non protégées monuments historiques ont été en effet très transformées. « On pourrait regretter la disparition du décor des toilettes dont l’effet marbré n’était pas sans intérêt esthétique et patrimonial », explique Christophe Bottineau. On retrouvera ces lieux d’aisance dans leur mouture de jadis dans une scène d’action du film Nikita (1990), son réalisateur, Luc Besson, ayant, comme beaucoup de cinéastes, été sensible à l’aura du Train Bleu.

Note

(1) Les banquettes ont été regarnies plusieurs fois au cours de l’histoire.

Erratum

(*) Contrairement à que nous indiquions dans le JdA n° 419, SSP est l’exploitant du lieu et maître d’ouvrage du chantier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Restauration (g)astronomique

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