Regrouper les arts primitifs au Palais de Chaillot

La création d’un grand musée au Trocadéro pourrait être envisagée

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 858 mots

Le projet de rapprochement, au Palais de Chaillot, du Musée de l’Homme et du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie est de nouveau d’actualité. Cette hypothèse, qui va au-delà du souhait exprimé par Jacques Chirac de voir les arts primitifs entrer au Musée du Louvre, devrait être discutée au sein de la commission chargée de \" donner aux arts d’Afrique, des Amériques et d’Océanie leur juste place dans le paysage culturel \", et présidée par Jacques Friedmann, proche du chef de l’État. Cependant, la volonté présidentielle, maintes fois réaffirmée, se donnera-t-elle les moyens, jamais évoqués, de sa politique ?

PARIS - Après avoir fait part de sa volonté de voir les arts primitifs exposés au Louvre, le président de la République élargit son dessein à l’ensemble des collections publiques françaises. Le 23 janvier, le Premier ministre a nommé Jacques Friedmann, président de l’UAP, à la tête d’un comité d’experts (lire encadré) chargé "de proposer dans un délai de six mois un projet de réorganisation, d’enrichissement et de mise en valeur des collections nationales en ce domaine". L’hypothèse, déja avancée, de créer un grand musée au Trocadéro devrait être discutée au sein de la commission.

Cette future institution pourrait naître du rapprochement du Musée de l’Homme – installé depuis 1943 dans l’aile de Passy du Palais de Chaillot – et du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (Maao) – qui occupe l’ancien Musée des Colonies, inauguré en 1931 à la porte Dorée, en périphérie du Bois de Vincennes. Ce dernier pourrait alors permuter avec le Musée de la Marine, également installé dans l’aile de Passy du Palais de Chaillot.

Si les différents protagonistes trouvent un terrain d’entente, un établissement public pourrait être créé, en raison des différentes tutelles qui pèsent sur le Maao (ministère de la Culture) et le Musée de l’Homme (ministères de la Recherche et de l’Environnement). "À moins qu’une triple tutelle soit envisagée", suggère Henry de Lumley, directeur du Museum national d’histoire naturelle auquel le Musée de l’Homme est rattaché. La présence d’un conseiller d’État au sein de la commission devrait aider à trouver une réponse adaptée.

Cependant, le compromis autour d’une voie ethno-esthétique sera difficile à trouver au sein de la commission, entre les partisans d’une présentation des objets "dans leur contexte", telle que la défend Henry de Lumley, et ceux pour qui, au contraire, "un objet est beau parce qu’il y a quelqu’un pour le sortir de son contexte", comme l’exprime Jacques Kerchache.

Les débats promettent d’être houleux
L’autre incertitude demeure la réaction du ministère de la Défense, dont dépend le Musée de la Marine. Certes, la symbolique coloniale de l’ex-Musée des Colonies, puis de la France d’Outre-Mer, entretient quelques lointains rapports avec l’histoire de la Marine.

L’Aquarium tropical, situé au sous-sol, attire le même public familial qu’au Trocadéro, et les surfaces utiles du musée de la porte Dorée représentent près du double (15 000 m2 contre 8 800 m2) de celles qu’occupent actuellement le Musée de la Marine. Malgré cela, la perspective de quitter un lieu spécialement aménagé à son intention, dans un des édifices les plus prestigieux de la capitale, pour un musée inadapté et excentré n’est guère enthousiasmante. Toutefois, l’amiral Bellec reconnaît que son musée "manque de place" et que "la création d’un grand musée maritime serait une bonne chose". Et s’il pense que "le Maao n’est sans doute pas le lieu idéal, il serait stupide de refuser a priori de s’y installer." Le cabinet du Premier ministre l’a d’ailleurs prié de se mettre en rapport avec la commission.

En fait, la vraie bataille est ailleurs. Le financement de ce projet se chiffre par centaines de millions de francs : à moins d’un geste exceptionnel, c’est-à-dire présidentiel, ce grand projet ne pourra donc pas voir le jour. Pour convaincre tout à fait Jacques Chirac, sans doute faudra-t-il céder sur certains points, à commencer par la création d’une "vitrine" au Musée du Louvre, qui pourrait accueillir 150 œuvres de la collection Jacques Kerchache sur 2 000 m2, peut-être dans l’aile de Flore, avant la fin de l’année. Mais "il serait aberrant de dépouiller la future institution de ses plus belles pièces", observe Jean-Hubert Martin.

La situation précaire dans laquelle sont plongés le Maao et le Musée de l’Homme devrait emporter la décision. Cependant, comme l’a déjà prédit Françoise Cachin, les débats de la commission promettent d’être houleux : "Ce sera difficile. Nous serons confrontés à une masse de problèmes d’ordre technique, déontologique, scientifique, administratif, chronologique… Cela m’étonnerait beaucoup qu’en six mois, on arrive à des résultats parfaitement satisfaisants."

Douze membres pour une commission

Président : Jacques Friedmann, président de l’UAP. Claude-François Baudez, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’art des Amériques ; Françoise Cachin, directeur des Musées de France ; Bernard Dizambourg, directeur de l’Information scientifique, des technologies nouvelles et des bibliothèques ; Christine Hemmet, ingénieur de recherche au département Ethnologie du Musée de l’Homme ; Jacques Kerchache, collectionneur ; Jean Lebrat, président de l’Établissement public du Grand Louvre ; Henry de Lumley, directeur du Museum national d’histoire naturelle ; Jean-Hubert Martin, directeur du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie ; Jean-Louis Paudrat, maître de conférences à Paris I, spécialiste de l’art africain ; Pierre Rosenberg, président-directeur du Musée du Louvre ; Jacques Vistel, conseiller d’État.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : Regrouper les arts primitifs au Palais de Chaillot

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