Architecture Querelle à Ronchamp

Piano sur les plates-bandes de Le Corbusier

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2008 - 821 mots

La Fondation Le Corbusier s’oppose à un projet situé sur le terrain de la chapelle de Ronchamp (Haute-Saône) qui risquerait de dénaturer l’édifice sacré conçu en 1951 par le maître. Confié à l’architecte Renzo Piano et au paysagiste Michel Corajoud, ce programme a pourtant été validé l’an dernier par la Commission nationale des monuments historiques et a reçu le soutien des Amis de Le Corbusier.

RONCHAMP - La douzaine de sœurs Clarisses, un ordre religieux contemplatif, pourra-t-elle s’installer prochainement sur la colline de Bourlémont, à proximité de la chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp (Haute-Saône) ? Lancé en 2005 par l’association de l’Œuvre de Notre-Dame du Haut, propriétaire des lieux et du site, et l’ordre des Clarisses, le projet de construction de nouveaux bâtiments d’accueil et d’un petit couvent semi-enterré aux abords de la célèbre chapelle construite par Le Corbusier en 1951 suscite une violente polémique. Confié à l’architecte Renzo Piano et au paysagiste Michel Corajoud, il a pourtant été validé le 28 juin 2007 par la Commission nationale des monuments historiques, section abords. Le permis de construire a été délivré en mars 2007 et, selon l’agence Piano, les consultations auprès des entreprises ont déjà été lancées.
Courant avril, une pétition anonyme a été adressée à la ministre de la Culture afin de dénoncer l’absence de concertation avec la Fondation Le Corbusier, légataire des droits moraux et patrimoniaux de l’architecte, sur un projet risquant de « compromettre à tout jamais l’harmonie et la cohésion de l’ensemble du site ». Elle a été rapidement contrecarrée par une seconde pétition, lancée par l’association des Amis de Le Corbusier pour soutenir le projet. « Depuis deux ans, maîtres d’ouvrage et maître d’œuvre ont fait profondément évoluer le projet à partir des remarques formulées par les différents intervenants consultés », soulignent dans une lettre commune signée du 12 mai Jean-François Mathey, président de l’Œuvre Notre-Dame du Haut, Dominique Claudius-Petit, président des Amis de Le Corbusier, Renzo Piano et Michel Corajoud.
S’il dément que la Fondation Le Corbusier soit à l’origine de la première pétition, Michel Richard, son directeur, reconnaît qu’il a fait connaître sa désapprobation vis-à-vis du projet à la ministre. Michel Clément, qui était jusqu’à une date très récente (lire p. 5) directeur de l’Architecture et du Patrimoine, est par ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation. « Nous ne contestons ni le programme ni le travail de Renzo Piano, mais sa proximité avec la chapelle », soutient Michel Richard. Avec plus de 100 000 visiteurs par an, l’importance des travaux d’aménagement d’accueil n’est contestée par personne. Michel Richard regrette les lacunes dans l’instruction du projet : « Le projet de Piano relève d’une mauvaise compréhension de ce que voulait Le Corbusier, poursuit-il. La décision a été prise sans étude historique préalable. » Depuis, la Fondation – mais n’était-ce pas jadis le rôle de l’administration ? – a commandé un travail à Gilles Ragot, historien de l’architecture et corrélateur du dossier de candidature de l’œuvre de Le Corbusier sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Rendue au début du mois de mai, son étude rappelle l’opposition de l’architecte, dès 1959, à la construction d’une « maison du silence » sur le même site que celui de la Fraternité des Clarisses, et ce afin de préserver la dimension sacrée de la colline. « Vous voulez refaire Lourdes ! », aurait alors protesté l’architecte. Gilles Ragot déplore par ailleurs que le lieu, inscrit depuis mars 1960 sur l’inventaire des sites, fasse aujourd’hui l’objet d’un projet de reboisement radical alors qu’il n’a jamais été entretenu.

Candidature en péril
Pourtant Gilles Ragot ne cache pas son pessimisme quant à l’évolution du dossier. « Nous réagissons trop tardivement », reconnaît ce dernier, qui plaide coupable. « Nous étions présents à la commission, mais, comme aucune étude historique n’avait été faite, nous n’avions pas d’argument à opposer ! » De son côté, Renzo Piano s’efforce d’améliorer son projet. Le « plan paysage » du site présenté par Gilles Ragot dans son rapport sera notamment pris en compte dans l’élaboration d’une dernière mouture. « L’association, qui est animée par les enfants de ceux qui avaient commandé la chapelle à Le Corbusier, a souhaité construire un bâtiment dans le respect de l’environnement », souligne Paul Vincent, chef de projet à l’agence Piano.
La maîtrise d’ouvrage, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, dispose néanmoins de peu de marge de manœuvre foncière, à moins de bâtir sur un autre terrain qu’il faudrait acquérir. Or le projet, d’un coût avoisinant les 10 millions d’euros, doit déjà être financé en partie grâce aux dons et au mécénat. Seul le ministère de la Culture peut donc désormais arbitrer le conflit – Malraux avait inscrit le site en 1960 par arrêté contre l’avis de son administration. En mesurant les conséquences des travaux sur l’instruction prochaine du dossier de candidature au Patrimoine mondial : qu’en penseront les experts de l’Unesco lorsqu’ils feront le déplacement à Ronchamp ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Piano sur les plates-bandes de Le Corbusier

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