Penser le gothique

Le Journal des Arts

Le 5 novembre 1999 - 512 mots

Un recueil de textes d’une part, une passionnante réflexion sur l’art gothique d’autre part, les deux ouvrages de Roland Recht qui paraissent cet automne se rejoignent, par-delà l’apparente hétérogénéité, dans l’invention du Moyen Âge par les historiens et l’attention aux qualités proprement visuelles de l’œuvre d’art.

S’ouvrant sur un beau plaidoyer pour l’histoire de l’art et le rôle de l’historien de l’art dans la préservation du patrimoine, Penser le patrimoine s’attache d’abord à la genèse de l’objet patrimonial et au destin de l’œuvre d’art après son entrée au musée. Pour illustrer les effets de la “mise en scène de l’art” dans l’institution muséale, l’auteur se livre à une critique revigorante des cours de sculptures de l’aile Richelieu au Louvre, “vaste spectacle où domine l’effet décoratif général et la mise en scène théâtrale”, n’hésitant pas à y voir “une redéfinition du musée lui-même”. L’autre partie du livre est consacrée à l’invention du Moyen Âge par l’historiographie, avec notamment un long article sur l’interprétation de l’art roman. Cette analyse trouve une suite logique dans la première partie de Le croire et le voir, dans lequel Roland Recht s’efforce de renouveler la lecture de l’art gothique. Soucieux d’“établir les sédimentations de sens qui se sont accumulées entre notre objet et nous”, il commence par rappeler les divers systèmes d’interprétation élaborés du XVIIIe au XXe siècle, soulignant ainsi ce que chacun d’entre eux doit à la pensée de son époque. Mais, si “toute architecture possède un contenu et que son étude iconographique ou iconologique est parfaitement légitime, une relation de stricte causalité entre une pensée théologique ou un modèle symbolique et l’architecture n’est guère soutenable. L’architecture ne se fait pas à l’aide de concepts.” Elle n’en constitue pas moins, associée à la peinture, à la sculpture et à l’orfèvrerie, un système cohérent dont l’étude globale permet de mettre en valeur l’accentuation des qualités visuelles de l’art gothique. Cette place centrale assignée à la “visualité” associe à son tour l’auteur à des recherches concomitantes, menées par des historiens comme Michael Baxandall dans le domaine de la peinture.

Cet ouvrage est une véritable démonstration de la méthode propre à l’histoire de l’art exposée dans Penser le patrimoine : “L’examen du matériau, des procédés techniques, la reconstitution des implications théoriques contenues dans l’œuvre, celle du programme qui a présidé à sa réalisation, l’élucidation de son contenu – autant d’opérations qui correspondent à des savoirs distincts.” Toute la démonstration se fonde d’abord sur une connaissance intime de son objet qui ne laisse d’impressionner. Les propriétés visuelles mises en évidence par ces observations trouvent, selon lui, leurs sources dans une série de facteurs, du “développement du sacrement de l’Eucharistie” à “la mystique de la Passion inaugurée par Bernard de Clairvaux et prolongée par celle, actualisée, du saint d’Assise”.

- Roland Recht, Le croire et le voir, l’art des cathédrales XIIe-XVe siècles, Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 456 p., 85 ill., 195 F. ISBN 2-07-075426-X. En vente le 10 novembre. - Roland Recht, Penser le patrimoine, mise en ordre et mise en scène de l’art, Hazan, 160 p., 99 F. ISBN 2-85025-702-8.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Penser le gothique

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