États-Unis

Nouvelle politique pour les musées

La location des collections : le Musée Whitney y est favorable, mais le Musée d’art moderne de New York y est hostile.

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 1380 mots

La location de leur collection permet à certains musées d’augmenter leurs ressources et offre à d’autres la possibilité de disposer d’un fonds permanent.

NEW YORK - SAN JOSE - Le Musée Whitney d’art américain vient de signer avec le Musée de San Jose, en Californie, un accord de sept ans, en vertu duquel il lui enverra quatre ensembles représentatifs de cent œuvres américaines du XXe siècle, qui seront exposés dix-huit mois chacun, en Californie. Le premier groupe, intitulé Art américain : 1900-1940, sera visible à partir de mai prochain. Le Musée de San Jose versera au Whitney 1,4 million de dollars pour les quatre ensembles, et la contribution de la municipalité sera de trois millions de dollars supplémentaires (en tout, 26 millions de francs). David Ross, le conservateur en chef du Whitney, décrit cette association avec une grande franchise : "Ils ont plus d’argent que d’art, alors que nous, nous avons plus d’art que d’argent. Nous nous complétons à merveille."

Le président du Whitney, Leonard Lauder, estime que : "la location des collections devient indispensable aux États-Unis en raison du fait que la population s’éloigne du centre des villes où se trouvent les musées traditionnels. Ainsi, San Jose à une heure et demie de San Francisco, est la capitale de Silicon Valley, où vivent six millions d’habitants, ce qui en fait la onzième agglomération du pays". Dans vingt ans, prédit M. Lauder, le projet Whitney - San Jose apparaîtra comme un modèle, car il reflète bien le paysage de la vie culturelle américaine." Stephen Weil, le directeur adjoint du Musée Hirshhorn, s’attend lui aussi à ce que la tendance s’accentue.

Autres prêts à l’Espagne et au Japon
Plusieurs musées célèbres vont en effet adopter cette politique de dépôt à long terme. Ainsi, le Musée Salomon R. Guggenheim va conclure un arrangement avec Bilbao, en Espagne, et le Musée des beaux-arts de Boston en négocie un avec Nagoya, au Japon. Le gouvernement de la province de Biscaye fait construire à Bilbao, par l’architecte Frank Gehry , un musée de 76 200 m2, dont le coût s’élèvera à 708 millions de francs. À l’ouverture, en 1997, le Musée Guggenheim prêtera une partie de sa collection, enverra des expositions itinérantes, conseillera sur les acquisitions et gérera un budget de 89 millions de francs. Michael Govan, le directeur adjoint du musée américain a souligné pour The Art Newspaper que ce partenariat durerait au moins plusieurs décennies, et qu’il était souhaitable qu’il devienne permanent : "Il ne s’agit pas d’une entreprise destinée à rapporter de l’argent. Grâce à elle, nous allons toucher le public européen, et nous partagerons le coût des expositions. Quant à notre collection, cela va nous permettre de mieux la présenter, puisque nous disposerons de plus d’espace pour accrocher les donations." Le Musée Guggenheim touchera cependant 118 millions de francs pour sa participation, et ne réglera aucune des dépenses du nouveau musée. En outre, divers établissements américains, européens et asiatiques l’ont approché dans l’espoir de bénéficier aussi de dépôts.

Le Musée des beaux-arts de Boston et la Chambre du commerce et de l’industrie de Nagoya, au Japon, vont signer un accord pour vingt ans au sujet du musée de 17 000 m2, dont l’aménagement a été prévu par Nihon Sekkei, Nikken Sekkei et Tokai Sekkei, dans un immeuble qui abritait les archives municipales. Quand il ouvrira ses portes, en 1997, toutes les œuvres présentées viendront de Boston. Le Musée des beaux-arts enverra tour à tour quatre sélections de ses collections, pour une durée de cinq ans à la fois, ainsi que deux expositions temporaires par an. Nagoya réglera les dépenses, et versera une contribution annuelle "substantielle".

La position de New York et de Chicago
Richard Oldenburg, qui dirige le Musée d’art moderne de New York, reconnaît qu’il est difficile aujourd’hui de constituer une collection d’art, ce qui rend "tout à fait raisonnable" la demande de prêts d’œuvres classiques auprès des musées qui les conservent. Toutefois, son musée se refuse à effectuer des dépôts. James Wood, conservateur en chef de l’Institut d’art de Chicago, se montre tout aussi catégorique : "Nous avons le devoir de conserver nos collections à Chicago, dans l’intérêt de notre public et de nos visiteurs. Nous prêtons un nombre considérable d’œuvres individuelles pour des expositions, mais nous n’envisageons pas la création d’un musée satellite." Or, il n’est pas le seul à estimer qu’une telle démarche dessert le public du musée prêteur.

Le principe du dépôt pose en effet des problèmes d’éthique et d’administration ; il pourrait aussi avoir des conséquences légales. Pourtant, ni l’Association américaine des musées, ni celle des conservateurs des musées d’art n’ont encore donné de consignes à leurs adhérents.

L’avenir du Whitney
Interrogé sur l’avenir de la présentation à New York de la collection permanente du Whitney privée des prêts faits au Musée de San Jose, son conservateur, David Ross, a confié à The Art Newspaper : "Notre intention est de consacrer l’un de nos trois étages à la collection permanente du musée. Le projet de San Jose ne compromettra en rien notre capacité à y maintenir une présentation de haute qualité".

Outre des expositions thématiques et la poursuite de la série "La Collection et son contexte", quatre conservateurs de Francfort, Amsterdam, Londres et Paris, auront carte blanche pour interpréter les œuvres du Whitney. Ces "Vues de l’étranger" seront ensuite présentées dans les musées européens correspondants (1995-1997). David Ross a ensuite précisé qu’avant la fin de la décennie, tout le musée serait consacré durant une année entière à une exposition intitulée "Le Siècle américain", qui constituera une étude en profondeur de l’apport artistique des États-Unis entre 1900 et l’an 2000.

L’accord Boston-Dallas, un modèle du genre
L’accord entre le Musée des beaux-arts de Boston et celui de Dallas est l’un des plus heureux qui soit. Au cours de ses expéditions archéologiques, Boston a recueilli un matériel considérable, dont la conservation pose problème. En 1990, le musée est convenu de prêter, pour dix ans, 400 objets égyptiens à Dallas, en laissant aux Texans la charge de les maintenir en état. La fondation, créée par l’ancienne conservatrice du Musée d’art moderne de Dallas, Betty Marcus, a accordé une donation de près de 3 millions de francs à ce projet.

À Philadelphie
Les possibilités offertes par les échanges de ce type sont infinies, et les fondations acceptent de les financer. L’une des premières à y avoir consenti, The Pew Charitable Trusts, a offert près de 9 millions de francs à diverses institutions bénévoles de la région de Philadelphie pour régler les frais de conservation et le transfert d’une partie de leurs collections. Elle estime que quand la mission d’un musée change, certaines de ses richesses perdent de l’intérêt. Marian Godfrey, chargée des affaires culturelles, précise : "Notre objectif a été d’aérer certaines collections, et de permettre à d’autres établissements de bénéficier de l’opération." La fondation a aidé l’Association des musées texans à préparer un programme de "partage des ressources", qui comprend l’édition d’un catalogue des collections et des services d’échange et de prêt.

Échanges sur le plan national
La fondation Knight est la première à s’être engagée pour l’ensemble des États-Unis. C’est elle qui a accordé près de 1,8 million de francs au projet Whitney - San Jose, qu’elle tenait pour un "programme modèle de partage d’une collection". Elle a demandé à un conseiller d’enquêter sur les réactions de l’ensemble des musées américains à propos de dépôts à long terme, et sur l’intérêt manifesté par les petits établissements à cet égard. Un porte-parole a déclaré à The Art Newspaper que, si les résultats étaient favorables, "nous établirons à nos frais une banque de données, pour faire connaître aux musées ce qui est disponible, et nous créerons une administration pour faciliter les dépôts." C’est là une initiative intéressante. Si toutes les institutions bénévoles réfléchissent à la mission qui leur a été confiée, étudient les ressources des autres, précisent leurs lacunes et sélectionnent les éléments qui trouveraient un meilleur emploi dans un autre cadre, de telles informations pourraient conduire à des partenariats fructueux. Toutefois, il n’est pas certain que les grands musées acceptent de participer à une politique d’échanges. Marian Godfrey, de la fondation Pew, s’est rendu compte que les projets de dépôt avaient peu d’attrait pour eux, car ils rencontrent "des problèmes extraordinaires de mise en œuvre d’accord et de logistique", ce qui explique leur réticence.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Nouvelle politique pour les musées

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