Londres ravalée, Londres nettoyée, Londres abîmée ?

Des interventions parfois trop énergiques soulèvent quelques interrogations

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1996 - 711 mots

Jamais la capitale du Royaume-Uni n’a eu l’air aussi propre : St. James’s Palace, Buckingham Palace, le palais de Westminster, le Victoria & Albert Museum et Whitehall sont devenus méconnaissables depuis leur ravalement. Mais ces interventions suscitent quelques critiques, en dépit des progrès enregistrés en matière de techniques de nettoyage, notamment dans le domaine de la technologie du laser.

LONDRES. S’exprimant à propros des divers ravalements effectués ces dix dernières années sur plusieurs bâtiments historiques de Londres, certains spécialistes soutiennent que tout procédé de nettoyage présente des inconvénients et rendent les matériaux de construction plus vulnérables. Les traitements chimiques peuvent être destructeurs, les projections d’eau conduisent à la pourriture sèche du bois, des détails d’importance historique peuvent être perdus par la faute d’ouvriers inexpérimentés… Dans ces conditions, si le ravalement est uniquement effectué dans un but esthétique, pourquoi courir de tels risques, se demande Neil Burton, le secrétaire du Georgian Group qui veille à la conservation des monuments datant du XVIIe au début du XIXe siècle.

Les raisons esthétiques invoquées pour justifier le ravalement des monuments historiques sont d’ailleurs celles qui paraissent le moins convaincantes aux yeux des organismes chargés de la protection du patrimoine, au premier rang desquels l’English Heritage, qui conseille de procéder à un examen approfondi avant toute décision. Par le passé, de dures leçons ont été tirées de l’emploi de certaines techniques aux effets désastreux sur certains matériaux. Au cours des années soixante-dix, des infiltrations d’eau et l’apparition de pourriture sèche ont été constatées à la Wallace Collection, tandis que des terres cuites étaient endommagées au Victoria & Albert Museum. Selon l’English Heritage, un ravalement ne doit être entrepris que si des dépôts sulfureux – l’anhydride sulfureux, l’anhydride azoteux et, surtout, l’oxyde de carbone dégagé par les véhicules – attaquent la façade.

Trois entreprises, trois techniques
Il existe de nombreuses techniques de ravalement, y compris l’utilisation de divers produits abrasifs et chimiques, la projection d’eau sous pression et différents moyens mécaniques, mais la projection de sable à sec est aujourd’hui interdite. St James’s Palace, enfin restauré après dix ans de travaux, est un exemple intéressant de l’utilisation de plusieurs techniques. Trois cabinets d’ingénieurs-conseils ont successivement préconisé l’emploi d’au moins autant de méthodes… La première consistait en un traitement chimique, dit "néolithe", à base d’acide fluorhydrique en solution à 10 %, appliqué à la brosse sur la brique humide et rincé par projection d’eau sous haute pression. Bien qu’ils soient encore fréquemment employés, on sait que les traitements chimiques attaquent les ornements en métal, et parfois même le revêtement. C’est ce qui est arrivé aux briques en terre cuite, aujourd’hui décolorées, de la façade du Musée d’histoire naturelle de Londres. L’emploi d’une solution d’acide trop concentrée et un rinçage tardif ont provoqué l’apparition de dépôts de chlore et de silice sur leur surface.

Afin d’obtenir une propreté plus uniforme, la seconde entreprise a préféré recourir à un nettoyage abrasif par voie humide. Cependant, un tel ravalement ne doit jamais être exécuté en hiver, car si l’eau pénètre dans la façade, le gel peut provoquer des fissures. La dernière technique utilisée pour St James’s Palace a été récemment mise au point en Allemagne. Il s’agit de la méthode "JOS", variante des méthodes abrasives sur revêtement humide. La nébulisation à basse pression d’un mélange à base d’eau et de produit non siliceux est effectuée en spirale, selon un certain angle, avec un gicleur en céramique.

Le laser en pointe
En France, pour le Louvre et l’Institut en particulier, une technique originale de pulvérisation d’une poudre de grains de verrerie (fine, microfine ou superfine) a été mise au point par l’entreprise Thomann-Hanry. Autre particularité, ce "gommage" s’effectue à partir de camions-grues équipés de nacelles. Le professeur John Ashurst, auteur du guide technique de l’English Heritage, constate ainsi l’existence de progrès encourageants en matière de ravalement, notamment dans l’utilisation de la technologie du laser. Son utilisation permet de contrôler parfaitement l’épaisseur de matière à éliminer et de traiter localement le calcaire, le marbre, voire les peintures et les vitraux, bien que des études complémentaires soient encore en cours. En Grande-Bretagne, cette technique a été employée pour la première fois à la fin des années quatre-vingt, pour la façade du Victoria & Albert Museum. Elle a également été utilisée en France pour la cathédrale d’Amiens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Londres ravalée, Londres nettoyée, Londres abîmée ?

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