Mali

L’héritage culturel africain menacé

Les États-Unis prennent des dispositions pour empêcher le pillage et le commerce illicite des antiquités

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 704 mots

A la demande instante du gouvernement du Mali, les États-Unis ont fermé leurs frontières à tout matériel archéologique en provenance de cette région de l’Afrique occidentale occupée par l’homme depuis le Néolithique.

WASHINGTON - Au cours des vingt dernières années, de nombreux sites archéologiques de la vallée du Niger et du plateau de Bandiagara ont été l’objet de véritables pillages. Recherchés par les populations autochtones, des objets d’une valeur inestimable sont ensuite revendus à des marchands d’antiquités locaux en relation avec des Occidentaux qui les introduisent sur le marché international. Il s’agit le plus souvent de figurines en terre cuite d’êtres humains et d’animaux, de petites sculptures en métal, de bijoux, d’articles à usage domestique, d’instruments de musique en bois, de textiles provenant du bassin occidental du Niger et des grottes des Tellem qui servaient de lieu de sépulture dans la falaise de Bandiagara.

Les sites d’occupation ancienne sont malheureusement faciles à repérer, ils s’élèvent comme autant d’îlots au-dessus de la plaine alluviale. Une équipe d’archéologues hollandais a examiné plus de 800 habitats de la vallée du Niger et estime que près de la moitié d’entre eux avaient été pillés. Selon Susan MacIntosh, professeur d’archéologie africaine à l’université Rice de Houston, "on sait que des villages entiers ont été engagés pour retourner chaque centimètre de terre des sites". Les pillards obtiennent de 20 à 30 dollars par objet auprès des marchands locaux, qui les revendent à des prix bien supérieurs aux commerçants européens ou américains.

Un patrimoine à protéger des pillards et des marchands
Le président du Mali, Alpha Omar Konaré, qui est lui-même archéologue, s’efforce d’intéresser ses concitoyens à ces témoignages du patrimoine national , mais le gouvernement risque de perdre la bataille. Bien que des décrets aient été pris en 1985 pour interdire l’enlèvement et l’exportation sans autorisation de toutes les antiquités, aucun effort sérieux n’a été fait pour lutter contre les pillards, et les frontières du pays demeurent perméables.

La demande accrue du marché de l’art pour des terres cuites en provenance du Mali depuis la Seconde guerre mondiale a fortement encouragé et amplifié ces fouilles sauvages. Ce que confirme Kate Ezra, conservatrice du Département Art africain au Metropolitan Museum of Art : "Le matériel du bassin occidental du Niger était demeuré presque inconnu jusqu’à la fin des années 1940, les collectionneurs et les spécialistes ne s’y sont vraiment intéressés qu’au cours des années 50 et 60. Les objets sont apparus en nombre toujours plus important sur le marché, et à présent, on en rencontre dans le monde entier. Ce matériel aurait dû être soumis à certaines règles d’exportation au Mali, mais on ignore dans quelle mesure il l’a été". Et Kate Ezra de souligner que c’est à l’acheteur potentiel d’effectuer des vérifications auprès des autorités maliennes. Il est évident que c’est là une démarche exceptionnelle.

L’Unesco protège les biens du patrimoine culturel
L’année dernière, le Mali a demandé à Washington de prendre en considération l’article 9 de la convention adoptée par l’Unesco en 1970 sur les moyens d’interdire et de prévenir l’importation illicite, l’exportation et le transfert de propriété des biens culturels. En tant que l’un de ses 78 signataires, le Mali a le droit de demander à l’Agence d’information des États-Unis d’imposer des restrictions sur les catégories de matériel archéologique ou ethnographique dont le pillage met en danger son patrimoine culturel. L’Agence a adopté une mesure destinée à "réduire l’attrait du pillage en restreignant de manière effective le rôle des États-Unis en tant que consommateur significatif d’objets maliens sur le marché international." Le Mali est le cinquième pays à faire l’objet d’une telle décision de la part des États-Unis, les quatre autres pays étant latino-américains.

La communauté internationale commence seulement à mesurer l’ampleur de la dispersion de l’héritage culturel africain. Mais les États-Unis sont le seul pays grand importateur d’art qui ait ratifié la convention. La Suisse entend d’ailleurs suivre cet exemple avant la fin de l’année.

Maria Papageorge Kouroupas, directrice du Comité consultatif sur les biens culturels à l’Unesco qui comprend onze membres, estime que la coopération entre les pays occidentaux importateurs d’art est insuffisante et encourage les pays à s’unir "pour fournir un effort international concerté, de décourager le pillage dans les pays possédant un patrimoine artistique".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : L’héritage culturel africain menacé

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