L’ex-RDA rattrapée par son passé

L’attitude des musées face aux demandes de restitution

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 653 mots

Depuis la réunification, et avec la nouvelle législation en vigueur, les musées de l’ex-RDA doivent faire face aux nombreuses demandes de restitution émanant des héritiers des familles spoliées par l’État est-allemand. Le musée de Dresde semble accueillir les réclamations des descendants de la famille Wettin avec philosophie. La collection Speck pourrait, elle, demeurer au musée de Leipzig. En revanche, les héritiers d’un marchand de Cologne intentent un procès à la Staatliche Galerie Moritzburg de Halle.

ALLEMAGNE (de notre correspondant) - La principale revendication adressée au musée de Dresde émane des descendants de la maison princière de Wettin.
 
Paradoxalement, même si cela représente quelques centaines de tableaux – conservés dans les réserves de la galerie des maîtres anciens – et autant de meubles – partiellement exposés au musée du château de Pillnitz, près de Dresde –, le directeur du musée de Dresde se déclare plus soulagé qu’attristé par le départ des œuvres. En effet, les tableaux encombrent ses réserves depuis plusieurs décennies, alors que leur intérêt se limite presque uniquement à l’histoire des Wettin. La création d’une fondation, conjointement dirigée par la famille, la Ville, l’État et le musée serait la meilleure solution, de l’avis des représentants de l’administration et de la galerie. Elle permettrait également de prévenir la vente d’objets isolés, notamment du mobilier.

Sauvés du pillage
Une menace qui vient justement d’être évitée à la collection Speck von Sternburg, hébergée depuis 1948 au Museum der bildenden Künste, à Leipzig. Le principe d’une fondation est aujourd’hui acquis entre les héritiers, le musée, la Ville et le Land de Saxe. Elle sera financée par la vente officielle à l’État d’un Cranach et d’un Rogier Van der Weyden.

L’accord permet de conserver dans le domaine public une remarquable collection de maîtres anciens et du XIXe siècle. Le départ de ces deux cent huit toiles aurait privé le musée de plus du quart de sa collection permanente, d’autant que presque toutes les écoles européennes sont représentées dans la collection Speck. Parmi ces chefs-d’œuvre : une Visitation de sainte Anne par Rogier Van der Weyden, une marine impétueuse représentant le Miracle de sainte Walpurge par Rubens ; un Portrait de femme, daté de 1497, attribué à Dürer, ainsi que de merveilleux tableaux romantiques de Caspar David Friedrich et Carl Rottmann.

La collection a été rassemblée par Maximilien Speck von Sternburg, aristocrate et capitaine d’industrie du siècle dernier, pour sa résidence de Lützschena, près de Leipzig. La maison et le domaine sont à l’abandon depuis la fin de la guerre, ce qui rappelle les conditions dramatiques dans lesquelles ses trésors artistiques ont été sauvés de la destruction par l’ancien directeur du musée de Leipzig. Le domaine confisqué, le contenu de la demeure avait été abandonné au pillage. Des témoins ont raconté comment le directeur avait alors transporté lui-même – dans des sacs et à pied… – ces chefs-d’œuvre pour les mettre à l’abri dans son musée.

Quatre toiles litigieuses
Les héritiers du marchand d’art de Cologne Ferdinand Möller, décédé en 1956, ont intenté une action contre la Staatliche Galerie Moritz­burg de Halle afin d’obtenir la restitution de quatre tableaux : Nus dans un bois, près de la plage (1913) par Kirchner, La boutique du barbier (1913) et Paysan (1923) par Heckel, ainsi qu’un Feininger de 1931. Le procès a pris au dépourvu le musée, qui avait catalogué ces œuvres comme "acquises de Ferdinand Möller en 1948". Or, si un contrat de vente a bien été passé en 1948 entre Möller et Gerhard Händler, son directeur, aucune somme d’argent n’a été versée. Le marchand a ensuite déménagé de Berlin à Cologne, et les œuvres confiées en prêt à long terme.

Ferdinand Möller, qui fut l’un des quatre marchands chargés par les nazis d’écouler les tableaux de la collection de peinture moderne du Musée Moritzburg sur le marché in­ter­national, a retiré peu de bénéfice de ses ventes, mais il avait gardé chez lui quelques tableaux, parmi lesquels les quatre toiles litigieuses.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : L’ex-RDA rattrapée par son passé

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