Lever le soupçon

Les musées britanniques traquent les œuvres pillées

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 597 mots

Dans le sillage de la National Gallery, les principaux musées nationaux britanniques ont mis en place des plans d’action pour traquer dans leurs collections des œuvres qui auraient pu être pillées pendant de la Seconde Guerre mondiale. Des résultats rapides sont espérés afin de lever tout soupçon.

LONDRES (de notre correspondant) - À l’instar de la National Gallery, la Tate Gallery, le British Museum, le Victoria & Albert Museum, la National Portrait Gallery, l’Imperial War Museum, les National Museums and Galleries de Merseyside, ceux de l’Irlande du Nord et du Pays de Galles, parmi d’autres, ont donc publié des plans d’action esquissant leur façon d’aborder la question des pillages nazis (lire le JdA n° 78, 5 mars). Ces documents donnent les noms des responsables à contacter pour obtenir ou fournir des informations ; des copies peuvent être obtenues dans chaque musée, et l’ensemble des plans à la National Museum Directors’ Conference. Des vérifications seront effectuées dans les collections afin de garantir qu’aucune acquisition n’est le fruit d’un pillage pendant la guerre.

À la Tate Gallery, par exemple, la recherche ciblera “la partie internationale des collections et les œuvres acquises après 1932 qui ont été créées avant 1946”. 605 œuvres appartiennent à cette catégorie, dont 361 sont des peintures et sculptures, et 244 des œuvres sur papier. Les recherches préliminaires devraient aboutir d’ici un mois. La Tate promet également de mettre en place “des procédures rigoureuses afin de contrôler la provenance des pièces acquises pour la collection et de garantir que des œuvres qui auraient pu être volées ou pillées n’entrent pas dans le musée sous forme de prêt ou pour des expositions”.

Une nature morte de Derain suspecte
La Nature morte de Derain (vers 1940), achetée 57 000 livres sterling au marchand londonien Stoppenbach & Delestre en 1986 est une des peintures à l’examen. L’année précédente, le 26 juin 1985, elle avait été vendue chez Sotheby’s, sans qu’aucun détail ne soit fourni sur son origine. Des vérifications effectuées plus tard ont révélé que la peinture n’avait pas été détenue dans les années quarante par le marchand principal de Derain à Paris, la galerie Renou et Colle, et qu’en 1943 elle faisait partie d’une collection privée non identifiée.

Du côté de la National Gallery, certaines lacunes concernant la provenance de 120 œuvres ont déjà été comblées. Ainsi, pour le Christ en Croix de Delacroix, un lecteur parisien de The Art Newspaper dont le grand-père, Jules Strauss, avait possédé cette toile, a apporté les preuves qu’elle avait été vendue 140 000 francs à la galerie Georges Petit le 15 décembre 1932. L’acheteur était Henri Dubois. L’œuvre a donc été retirée de la liste. Sir Nicholas Goodison, président du National Art Collections Fund (NACF), a souligné que son organisation avait aidé les musées et les galeries à acquérir plus de 100 000 objets et qu’elle dispose d’importantes archives. “Nous suivons cette question de très près et sommes désireux d’aider de n’importe quelle manière”. Les documents du NACF ont ainsi montré qu’Ophélie parmi les fleurs d’Odilon Redon, passée dans une vente anonyme à Paris en 1945, a en fait été vendue à la galerie Charpentier par Madame Mottart. Bien que cela n’éclaircisse pas la situation de la peinture pendant la période 1933-1945, c’est un début encourageant.

Par ailleurs, une commission européenne sur les objets d’art pillés a été créée à Londres en vue de localiser et gérer les œuvres saisies pendant la période nazie. Mise en place le mois dernier, elle servira “de plate-forme à toutes les organisations, les groupes et les particuliers pour parler d’une même voix sur cette question.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Lever le soupçon

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