Mobilier et objets d’art

L’État veut s’opposer au démembrement des collections privées

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 667 mots

Dans le cadre du projet de loi sur les musées de France, soumis au Parlement lors de la prochaine session de printemps, des dispositions concernant le patrimoine prévoient de donner à l’État des moyens pour entraver le démembrement de collections ou des ensembles de mobiliers et d’objets d’art liés entre eux par leur origine ou leur histoire.

PARIS - Alerté par la vente du mobilier du château de Rosny-sur-Seine le 14 mars dernier à Drouot, Jacques Toubon a décidé de prendre des mesures contre le démembrement des collections privées et d’étudier les moyens nécessaires pour y remédier. La future loi sur les musées de France envisagerait l’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques d’objets détenus par des particuliers, alors qu’à l’heure actuelle, ces objets ne peuvent être que classés, en vertu de la loi de 1913 (1).

Par ailleurs, le texte prévoit de protéger les collections en tant que telles, afin d’éviter leur dispersion. Aujourd’hui, la vente d’objets classés n’est pas interdite, mais leurs propriétaires sont tenus d’en informer le ministère de la Culture. Leur exportation est formellement prohibée. Enfin, ce projet de loi tendrait à maintenir la cohésion entre édifices et éléments de décors. De telles mesures, destinées à sanctionner certains saccages du patrimoine privé, sont certes louables, mais l’État doit se donner des moyens pour les appliquer.

Dans ce but, la direction du Patrimoine veut adopter une politique de diffusion des connaissances, de protection, de conservation, de sécurité, et, enfin, d’expositions. Elle prône d’une part, le renforcement des publications de l’Inventaire, et d’autre part l’informatisation sur une base de données – la base Palissy – des 240 000 objets protégés, en vue de constituer un outil de gestion et de contrôle. Elle entend, en outre, multiplier les commissions départementales des objets d’arts et créer une section spécialisée de la CSMH (Commission supérieure des monuments historiques). La direction souhaite également développer une politique de dépôts de fouilles, afin d’assurer la conservation des vestiges mis à jour, qui sera l’une de ses priorités. De même, elle insistera sur la création de " trésors" et de regroupements d’objets. Des expositions seront enfin organisées pour permettre au public de découvrir notre patrimoine mobilier.

Du côté des propriétaires
Henri-François de Breteuil, président de la Demeure historique, association regroupant des propriétaires privés, tient à distinguer le point de vue du propriétaire privé, jaloux de sa "liberté" de manœuvre en cas de nécessité – combien de châtelains sont-ils contraints, à contrecœur, de mettre en vente des souvenirs de famille pour continuer à entretenir leurs demeures ? – et celui de l’intérêt de préserver le patrimoine français. Selon lui, il ne faut pas systématiser le classement du mobilier, même s’il a son importance. De même, en cas d’achat par l’État, il serait souhaitable, selon lui, de laisser le mobilier in situ, à charge pour le propriétaire d’ouvrir son château au public.

Au château d’Anet
Ainsi au château d’Anet, les tapisseries de Diane de Poitiers, qui constituaient la dation de la famille d’Yturbe, sont restées à leur emplacement initial, en plein accord avec l’État. Une exception qui rendrait service sans doute à nombre de propriétaires. Une façon, selon le marquis de Breteuil, de permettre aux châteaux "de garder leur âme". Il va de soi que ces dispositions légales ne sanctionneront pas les particuliers soucieux de préserver leur patrimoine, mais qu’elles concerneront essentiellement certains investisseurs à visées spéculatives, comme semble l’être la Nippon Sangyoo Kaisha. Cette société japonaise, propriétaire d’une dizaine de châteaux en France, a récemment défrayé la chronique. Elle semble vouloir se créer une spécialité dans la mise en vente systématique du mobilier et des décors des demeures acquises. Ainsi, le mois dernier, étaient dispersées les pièces les plus représentatives du château de Sourches (Sarthe), ancien fief de la famille de Guy des Cars. (lire également page 35)

(1) L’inscription est un degré de protection inférieur au classement. Il s’en distingue notamment par une moindre participation de l’État aux travaux de restauration. (Voir le Guide du marché de l’art 1994, Œuvres d’art et patrimoine.)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : L’État veut s’opposer au démembrement des collections privées

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