Antiquités

Les trésors de Jiroft disséminés sur le marché de l’art

Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 540 mots

Après le pillage par les habitants proches du site funéraire de Jiroft, en Iran, des objets d’une rareté inestimable ont fait leur apparition sur le marché européen, en toute illégalité.

 JIROFT (IRAN) - En janvier 2001 dans la province du sud-ouest de Kerman, un groupe d’Iraniens de Jiroft a découvert une ancienne tombe renfermant un trésor somptueux. Les objets, aux riches décorations gravées représentant des animaux, des personnages mythologiques et des motifs architecturaux, constituent l’une des plus importantes découvertes archéologiques de ces dernières années. Nos connaissances du développement des anciennes civilisations d’Iran et de Mésopotamie, entre le troisième et le quatrième millénaire avant J.-C., en sont bouleversées.
Quelques semaines plus tard, un comité d’officiels du ministère iranien de la Culture s’est rendu sur les lieux et a assisté, impuissant, au spectacle des milliers de mains qui creusaient et fouillaient le secteur. Les habitants locaux avaient rapidement improvisé un système hautement organisé pour gérer le pillage, allouant à chaque famille un lot de 6 m2. Ce pillage s’est poursuivi pendant une année entière. Des douzaines de tombes ont été découvertes, certaines d’entre elles contenant près de 60 objets, et des milliers d’objets antiques ont été prélevés. Tous étaient destinés aux marchés étrangers.
En février 2002, la police islamique d’Iran est finalement arrivée en force pour mettre fin au saccage. Quelque 2 000 objets ont été saisis chez les habitants de Jiroft, et de nombreux colis prêts à être expédiés ont été interceptés à Téhéran et Bandar Abbas.
Les objets confisqués par la police sont inattendus, car inédits, aux yeux des scientifiques. Beaucoup sont réalisés à partir de chlorite, une pierre douce de couleur gris vert, d’autres sont en cuivre, en bronze, en terre cuite et même en lapis-lazuli. Une équipe d’archéologues iraniens, conduite par le professeur Yousef Madjidzadeh, étudie actuellement ces pièces. La fouille officielle du site a débuté en février 2003, autour de la nécropole largement pillée, ainsi que sur un ancien site qui a échappé à la vigilance des voleurs. Une première publication est parue en août 2003, sous la forme d’un catalogue illustré (1), dans le cadre d’une conférence organisée à Téhéran.
Mais les dommages causés à Jiroft sont irréversibles : les tombes pillées ont été totalement vidées et de nombreux objets d’art ont déjà été mis en vente en Europe. En 2002, des vases provenant du site – arborant la mention de « Kerman » ou celle, extrêmement vague, de « Moyen-Orient » – étaient offerts à la vente à l’hôtel Drouot, à Paris, mais aussi, selon les spécialistes du marché, chez plusieurs antiquaires en France. La même année à Londres, un ensemble de 80 objets d’art de Jiroft était ouvertement offert sur le marché au prix de 600 000 livres sterling (856 000 euros). Aujourd’hui, un autre ensemble important est en vente dans une galerie réputée de la capitale britannique, et son dirigeant s’est d’ailleurs déclaré inquiet du nombre croissant de faux vases en circulation. Ces pièces pourraient facilement être l’œuvre des habitants de la région de Jiroft, responsables du pillage du site, qui ont accès aux mêmes carrières de chlorite que leurs ancêtres.

(1) Yousef Majidzadeh, Jiroft : la plus ancienne civilisation orientale, Organisation du ministère de la Culture et de guidance islamique, Téhéran, 2003.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Les trésors de Jiroft disséminés sur le marché de l’art

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