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Les Archives sous tension

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2012 - 964 mots

Alors que les Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine doivent bientôt être inaugurées, le site parisien est très convoité.

PIERREFITTE-SUR-SEINE - L’architecte l’a conçu comme « le coffre précieux de la mémoire » ; des habitants de la Plaine Saint-Denis le surnomment déjà « la boîte à chaussure ». L’édifice conçu par Massimiliano Fuksas, à Pierrefitte-sur-Seine, pour accueillir une partie des Archives nationales s’inscrit, non sans élégance, sur un territoire promis à un nouvel avenir. Dédié à la conservation des documents de l’État, ce bloc massif de la taille du Centre Pompidou, recouvert d’une « peau » d’aluminium, ne compte pas moins de 220 magasins d’archives répartis sur onze niveaux. Des passerelles le relient à de plus modestes « satellites de verre », bâtiments tout en transparence, comme en lévitation, ouverts sur des bassins réfléchissant la lumière, où se trouvent les locaux administratifs, espaces de conférences et d’accueil du public. Livré au printemps dernier, le site de Pierrefitte attend toujours une inauguration officielle – prévue le 2 octobre, la Rue de Valois a finalement décidé de repousser l’événement – avant son ouverture au public en janvier 2013. Le déménagement des archives qui y seront conservées a, lui, démarré en mai : il concerne plus de 200 kilomètres linéaires de documents provenant de Paris et Fontainebleau. Le site à Pierrefitte accueillera les archives postérieures à 1790, tandis que le quadrilatère des hôtels de Rohan-Soubise, au cœur du quartier du Marais à Paris, conservera les documents antérieurs à l’Ancien Régime et le Minutier central des notaires – faute de place, la collecte des archives notariales a pris 70 ans de retard. Le site de Fontainebleau créé en 1969 sous le nom de Cité interministérielle des Archives, abritera, pour sa part, les archives électroniques, audiovisuelles et orales et celles des architectes.

Un budget de 244 millions d’euros
Avec ses 320 kilomètres linéaires de capacité de stockage, ses 62 000 m2 de surfaces utiles (dont 44 000 m2 de magasins de conservation), le centre de Pierrefitte répond, enfin, aux problèmes cruels de saturation des dépôts et à leur état sanitaire préoccupant pour lesquels les services du Centre historique des Archives nationales, à Paris, avait alerté les pouvoirs publics il y a vingt ans. Dans les tuyaux depuis les années 1990, le projet a été porté à bout de bras par une poignée de chercheurs et archivistes qui, en 2001, se sont regroupés en une association présidée par Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS pour dénoncer la « catastrophe patrimoniale » qui s’annonçait. La décision politique tant attendue est finalement intervenue en 2004 et le chantier a pu démarrer en 2009. Financé par l’État, il a coûté 244 millions d’euros (dont 195 millions d’euros pour le bâtiment). Pour tenir les budgets et les délais, il a fallu renoncer à certains équipements – ainsi un quart des dépôts n’est pas pourvu de rayonnages – tandis que les emplois créés pour le site ont été obtenus de justesse en pleine Révision générale des politiques publiques. Dans la tempête, l’institution a dû faire face à la décision, prise en septembre 2010, d’implanter sur son site parisien la Maison de l’histoire de France (MHF) – annonce faite par Nicolas Sarkozy quelques mois après la nomination d’Hervé Lemoine, auteur d’un rapport sur la future MHF, à la direction interministérielle des Archives de France. S’en est suivie une lutte violente entre la Rue de Valois et les personnels des Archives nationales ayant pour conséquence le limogeage de leur directrice Isabelle Neuschwander, en février 2011 (lire le JdA n° 342, 4 mars 2011). Sa remplaçante, Agnès Magnien, a revu à la baisse le projet scientifique, culturel et éducatif élaboré par son prédécesseur.

Dans le Marais
Dans ce document précis et détaillé, Isabelle Neuschwander décrivait les besoins de la maison pour les trente années à venir : la section ancienne et le Minutier central conservés sur le site parisien nécessitent 75 kilomètres linéaires de stockage disponibles. Une surface ramenée à 50 kilomètres depuis la MHF. Quant aux indispensables travaux de réfection des bâtiments du quadrilatère, il n’en est plus question. « Soyons clairs : il ne reste pas un euro pour le site parisien », tranche Agnès Magnien dans un discours qui se veut pourtant rassurant. « Nous sommes à la tête de 600 km de rayonnage, il nous restera 100 km à Fontainebleau, 100 km à Pierrefitte. La question de la place pour les archives n’est plus d’actualité : nous sommes tranquilles pour trente ans, d’autant plus que la production documentaire des administrations tend à substituer l’électronique au papier ». Des données que contestent nombre d’archivistes et personnels des Archives. « Pierrefitte sera saturé dans dix ans pour la simple et bonne raison que tout ce qui ne rentre pas à Paris va à Pierrefitte », explique l’un d’eux. « Comment accueillir les minutes notariales après 1937 si on ne restitue pas au site parisien l’intégralité de ses espaces ? » Des espaces dans lesquels le Musée Picasso et l’École des Chartes (tous deux en travaux jusqu’à l’été) ont déjà pris leurs quartiers… Jusqu’à l’été, promet la directrice qui, à termes, souhaite qu’une institution publique non concurrente s’installe sur le site Parisien. Exit donc le projet d’Isabelle Neuschwander qui visait pourtant à redonner sa cohérence au quadrilatère avec la possibilité pour le public de traverser le site (en passant par la cour d’honneur de Soubise et les jardins de Rohan) et la création d’un grand parcours permanent. Elle évoquait aussi, la reconstitution du décor de la Chancellerie d’Orléans, joyau patrimonial du XVIIIe siècle (lire le JdA n° 292, 28 novembre 2008), au rez-de-chaussée de l’hôtel de Rohan, opération entièrement prise en charge par le mécénat réuni par le World Monuments Fund. Encore faudrait-il au préalable trouver les moyens de financer la restauration de l’hôtel de Rohan lui-même...

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Les Archives sous tension

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