Les aléas de la Loterie

La Chambre des Communes souligne ses effets pervers

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 2 avril 1999 - 665 mots

Remis par une commission de la Chambre des Communes, le rapport d’enquête sur l’Heritage Lottery Fund (HLF) a mis en évidence certains effets pervers. Des réformes sont donc recommandées afin que les bailleurs de fonds publics et privés cessent de concevoir l’aide de la Loterie comme un substitut plutôt que comme un complément.

LONDRES (de notre correspondant) - Pour les directeurs de deux grands musées et de plusieurs galeries, le sacro-saint principe de “complémentarité” a été désavoué. La promesse du gouvernement, selon laquelle l’argent de la Loterie ne serait pas utilisé pour les projets qui auraient autrement reçu des subventions du Trésor public, est, dans certains cas, notoirement ignorée. Neil MacGregor, directeur de la National Gallery de Londres, cite un exemple à Édimbourg : “Il existe un cas où l’on peut établir sans équivoque que le principe de complémentarité a été bafoué, celui des fonds accordés par le gouvernement aux... National Galleries of Scotland, dont les subventions pour les acquisitions ont considérablement, et même dangereusement diminué, au cours des trois ou quatre dernières années. Cela signifie clairement qu’on se décharge de cette responsabilité sur la Loterie.”

Autre cas, mentionné dans le rapport, où le principe de complémentarité “a été mis à rude épreuve” : le National Heritage Memorial Fund (NHMF), dont les subventions allouées par le ministère de la Culture ont subi plusieurs coupes franches, passant de huit millions de livres sterling en 1996-1997, à cinq en 1997-1998, puis à deux pour l’exercice financier en cours. Pour justifier ces diminutions, le ministère avait expliqué que le NHMF avait “également à sa disposition les subventions de la Loterie”.

Des fondations moins charitables
Le Victoria & Albert Museum (V&A) a pu apporter à la commission la preuve que les autres sources de financement s’épuisent depuis que la Loterie accorde des subventions. “Au moins une, voire plusieurs fondations de bienfaisance ont cessé d’accorder des aides aux musées pour leurs acquisitions, estimant qu’elles n’ont plus à tenir ce rôle. Si le HLF doit réduire les subventions qu’il alloue aux musées, et en particulier pour les acquisitions, les sources de financement actuelles diminueront encore davantage, ou disparaîtront”, déplore le V&A. D’après Sir Nicholas Goodison, président du National Art Collections Fund, le HLF est “un énorme succès”, mais il va devoir faire face à de sérieuses difficultés du fait de “l’amenuisement de ses moyens et du nombre impressionnant des bénéficiaires.” On reproche également au HLF d’être trop secret dans ses prises de décision. Ainsi, quand les Royal Armouries ont tenté d’acquérir pour 1,8 million de livres une armure complète fabriquée pour Henri II par Giovanni Negroli à Milan, en 1545, le HLF a refusé de subventionner l’opération car ses conseillers avaient des doutes sur l’attribution de l’œuvre. En l’espèce, les “avis divers de spécialistes anonymes” ont compté davantage que ceux des membres du conseil d’administration et des professionnels d’un musée publiquement reconnu pour son discernement, ont souligné les Royal Armouries. Après le rejet de leur demande, l’armure a été prêtée au Metropolitan, à New York, pour l’exposition “Negroli”, où l’attribution de l’œuvre a été parfaitement reconnue.

Depuis 1995, le HLF a accordé la somme colossale de 520 millions de livres (environ cinq milliards de francs) à divers musées et collections, soit 45 % du total de ses dépenses. Mais ce pourcentage a récemment chuté de façon considérable pour se fixer, selon les estimations, à 24 % (66 millions de livres) pour l’exercice financier en cours et à 23 %  (50 millions) pour l’exercice 2001-2002. La commission parlementaire semble soutenir ce déclin des dotations dans le domaine culturel : “Le degré d’engagement du HLF dans le patrimoine culturel a été immense, mais nous ne disposons d’aucun élément nous permettant de croire qu’il existe une solution pour répondre aux besoins du patrimoine culturel, de quelque façon que ce soit. Cependant, nous avons conclu, à regret, que la réduction proposée pour les financements de la Loterie était acceptable.” Le plan directeur du HLF, qui sera bientôt présenté au Parlement, devrait tenir compte de ces recommandations.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°80 du 2 avril 1999, avec le titre suivant : Les aléas de la Loterie

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