Le bâtiment Nouvel du musée madrilène offre un regard sur la ville, et sur l’art utopique des années 1960-1970.
Madrid. Au Museo nacional centro de arte Reina-Sofía, l’art cinétique retrouve le ciel. Depuis le 2 avril, les vastes terrasses du bâtiment Nouvel, longtemps reléguées au statut de belvédère secondaire, deviennent une salle à part entière de la collection permanente, accessible avec un billet d’entrée. Un geste muséal fort, intitulé « Un ordre distinct. Géométrie utopique et art cinétique sur les terrasses Nouvel », qui réinscrit la sculpture dans l’espace public du musée tout en rendant hommage aux utopies formelles des années 1960-1970. L’idée est bien sûr de mettre sur le devant de la scène ces œuvres oubliées, mais surtout de faire de cette esplanade un lieu d’interaction entre visiteur et sculpture. Tout cela en profitant du panorama singulier sur la ville offert par les terrasses, construites en 2005 par Jean Nouvel.
Ce sont trois œuvres majeures, jusque-là soustraites au regard des visiteurs, qui en constituent la trame : Penetrable (1982, [voir ill.]) de Jesús-Rafael Soto, Vigilante rojo (1979) d’Edgar Negret, et Mediterránea (10) (1971) de Martín Chirino. Trois artistes hispanophones, trois trajectoires transatlantiques qui dialoguent avec une ville en mutation et un musée en quête de renouveau. Soto, figure tutélaire de l’art cinétique latino-américain, y installe l’un de ses Penetrables, environnement de tiges pendantes que le visiteur est invité à traverser. À mi-chemin entre sculpture et architecture, cette œuvre efface la distinction entre objet et spectateur. Elle réactive les idéaux d’un art participatif né dans l’élan post-68. « Il n’y a plus de spectateurs ; il n’y a que des participants », disait Soto – la terrasse devient ici un terrain d’expérimentation.
À quelques pas, l’œuvre d’Edgar Negret déploie sa cadence d’horloge futuriste et silencieuse. Réapparue au musée après un long séjour luxembourgeois et une restauration scrupuleuse, cette sculpture rouge vif évoque une chorégraphie mécanique. Entre boulons et écrous, la tôle d’aluminium invite le spectateur à en faire le tour, profitant de la liberté de mouvement permise par l’espace environnant. Enfin, la sculpture de l’Espagnol Chirino est une spirale d’acier inoxydable, dont les courbes polies réfléchissent les lumières madrilènes comme autant de vagues métalliques. Héritier du groupe El Paso avec lequel il voulait contrer le réalisme franquiste, le natif des îles Canaries sculpte un paysage insulaire imaginaire entre Grèce antique et design automobile.
Avec cette nouvelle salle à ciel ouvert, le Reina-Sofía amorce un chantier plus vaste : la réorganisation progressive de ses collections jusqu’en 2028. Une entreprise ambitieuse, qui tente de concilier mémoire institutionnelle et modernité. En investissant l’extérieur comme lieu d’exposition à part entière, le musée affirme un positionnement engagé : celui d’un espace muséal sans cloison, où la ville elle-même devient prolongement de l’édifice.
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Le Reina-Sofía ouvre ses terrasses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Le Reina-Sofía ouvre ses terrasses