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Le nouveau Musée de Picardie, à Amiens

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 26 février 2020 - 1370 mots

AMIENS

Rare exemple de musée créé ex nihilo en France, le musée d’Amiens, pensé à la fin du XIXe siècle comme une annexe des musées nationaux, sort d’un profond chantier qui fait entrer l’institution dans le XXIe siècle.

C’est un sacré grand écart que réalise le Musée de Picardie. Au terme d’un chantier très attendu, l’établissement est parvenu à retrouver son ADN de temple des arts du XIXe siècle. Sans rien céder à la nostalgie mais en entrant, au contraire, de plain-pied dans la modernité. Un défi pour ce lieu hors du commun, surtout connu des spécialistes de l’histoire des musées. Non sans raison car le site s’apparente à une capsule temporelle qui résume le culte des beaux-arts sous le second Empire et la IIIe République. Amiens peut en effet se targuer d’accueillir le tout premier musée créé ex nihilo en France. Contrairement à ceux nés de la Révolution française et installés dans des édifices préexistants, ce palais-musée a été érigé entre 1855 et 1867 après un concours d’architecture. Une première. Et un succès, car celui-ci vit s’affronter plus de trente compétiteurs, dont Henri Parent, le lauréat.

Des collections exceptionnelles

C’est l’activisme de la Société des antiquaires de Picardie qui est à l’origine du choix de cette ville pour un projet d’une telle envergure, mais aussi un événement historique. En 1802, un embryon de musée y voit le jour quand Napoléon Ier expédie une série de peintures, dont les chasses de Louis XV, pour décorer l’hôtel de ville en vue de la signature du traité de paix avec l’Angleterre. Une fois l’événement passé, la collection demeure dans la cité. Des années plus tard, Napoléon III, soucieux d’honorer la mémoire de son oncle, soutient fortement le vœu des antiquaires de fonder un musée pour exposer les collections locales d’antiquités et de beaux-arts. Les attentes de ces érudits seront largement comblées car, outre leurs propres collectes, le site voit, grâce au soutien impérial, affluer d’innombrables dépôts, dont un fonds issu de la collection Campana et une centaine d’objets égyptiens du Louvre. Cet apport donne au site un caractère encyclopédique, renforcé encore au fil des ans par de formidables donations.

À la Belle Époque, les frères Lavalard offrent ainsi quelque deux cent cinquante tableaux, dont des pépites des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais le musée voit surtout arriver massivement des œuvres contemporaines ; essentiellement les grandes machines qui triomphent au Salon comme Boulanger, Lepoittevin sans oublier Gérôme et son immense Siècle d’Auguste qui recouvre plus de 60 m2 ! Le musée voit converger ces grands formats car il a été pensé non seulement comme une succursale des musées nationaux mais aussi comme une « annexe » du Musée du Luxembourg, c’est-à-dire le musée des artistes vivants. Il affiche en conséquence des proportions vertigineuses : à son ouverture, son parcours offre plus de 8 000 m2, des dispositifs d’accrochage à la pointe de la modernité et des espaces spectaculaires, comme l’époustouflant Grand Salon. Jusqu’à la Grande Guerre, grâce à ces prestigieux envois et les achats inspirés de la ville, le musée jouit d’un immense prestige.

Le déclin et la renaissance

Son bombardement en 1918 marque un net coup d’arrêt. Bien que le bâtiment ne soit que légèrement touché, les grands formats qui ont fait sa notoriété sont roulés et rangés dans les réserves ; certains y sommeilleront pendant près d’un siècle ! Le monument lui-même est considéré comme passé de mode. La grandiloquence de son décor n’est plus au goût du jour ; alors au fil des décennies, on badigeonne allègrement ses cimaises délicieusement colorées. Les blasons, les médaillons, les décors dorés sur fond rouge ou les fleurs à la grecque sur murs bleu nuit laissent place à un terne white cube, dont les grandes baies sont occultées. Les rares décors qui ont échappé au ripolinage, comme le dôme exaltant les gloires picardes couronnées par la France, perdent alors toute cohérence avec le reste du programme iconographique. Grâce au patient dégagement des somptueux décors, c’est l’essence même du musée que l’on retrouve aujourd’hui. Idem pour les locaux de la Société des antiquaires qui ont été restaurés et qui se dévoilent pour la première fois. Sans oublier le pavillon Maignan transformé depuis des années en espace technique.

Le lieu a été adapté aux normes actuelles de confort et d’accueil, et son décor ancien remis en valeur, tandis que son toit s’est vu agrémenté d’un jardin suspendu qui apporte une touche végétale et chaleureuse. Enfin, une extension aussi discrète qu’élégante est venue se loger au fond de la parcelle pour abriter tous les services incontournables d’un musée actuel. Ces différents espaces sont unifiés par une signalétique harmonieuse et l’ensemble du parcours a été repensé pour mettre en valeur le monument et son histoire. Tout en dédramatisant ce lieu majestueux qui peut s’avérer impressionnant pour le public le moins familier des musées. Ainsi l’étage noble, fermé pendant plus de dix ans à cause de problèmes structurels, rouvre enfin, rénové et reconfiguré. Ses majestueuses galeries ont été astucieusement redimensionnées par des cimaises qui leur confèrent un caractère plus intime tout en permettant une meilleure perception des chefs-d’œuvre qui y sont accrochés.

Puvis de Chavannes en majesté

Amateurs de Puvis de Chavannes, courez au musée où l’artiste est on ne peut mieux représenté ! Tout commence en 1861, quand il expose au Salon Concordia et Bellum. Deux allégories stratégiques car leur sujet et leur format les prédestinent à orner un lieu prestigieux. Achetées par l’État, elles sont envoyées à Amiens. Le peintre fait le voyage pour assister à leur installation dans la galerie d’honneur et remarque qu’il reste des emplacements vides. Enthousiasmé par l’ambition du musée, il propose de réaliser des peintures complémentaires, notamment La Fileuse et Le Moissonneur. Repérant d’autres espaces en attente de décor, il expose opportunément au Salon suivant deux grandes allégories Le Travail et Le Repos, dont les dimensions cadrent parfaitement avec les murs nus d’Amiens. Un détail qui n’échappe pas au conservateur qui les obtient pour son musée. Beau joueur, Puvis lui offre en retour des grisailles monumentales. L’artiste se voit ensuite commander un vaste décor à la gloire de la région, Ave Picardia nutrix. Deux décennies plus tard, on le sollicite pour en peindre le pendant, Pro Patria ludus.

Isabelle Manca

 

"Les Voix du Tocsin" de Maignan 

Généreux donateur du musée, Albert Maignan fut également un grand peintre, dont on redécouvre aujourd’hui le talent. Le parcours présente plusieurs de ses chefs-d’œuvre dont La Mort de Carpeaux mais aussi Les Voix du Tocsin, une pièce spectaculaire de plus de cinq mètres de hauteur qui est restée roulée en réserves pendant près d’un siècle ! Après restauration, elle regagne le Grand Salon, espace majestueux consacré aux très grands formats emblématiques de la peinture académique du XIXe siècle. 


Les chasses de Louis XV 

Le musée peut se targuer de posséder un ensemble aussi précieux qu’original : quatre des chasses exécutées pour la Petite Galerie de Louis XV. Dans un espace dédié, le parcours rassemble ainsi deux tableaux peints par François Boucher et deux par Carle van Loo. Loin de l’iconographie cynégétique traditionnelle, ces chasses mettent en scène une faune exotique (autruche, crocodile et léopard) dans des décors fantasmés et des combats épiques, les rapprochant de l’esprit de la peinture de bataille.


Les "Puys"d’Amiens 

C’est une collection unique au monde. Entre 1388 et la Révolution française, la confrérie du Puy de Notre-Dame d’Amiens a régulièrement commandé des tableaux en l’honneur de la Vierge, des  œuvres mythiques dont seule une portion infime est parvenue jusqu’à nous. Au terme d’un vaste chantier de restauration, le musée en expose huit dont celui de 1518, le seul ayant conservé son cadre original, un exceptionnel cadre en chêne sculpté formant une dentelle de bois qui magnifie la virtuosité de la peinture. 


Les "Lapins de Garenne"de Chardin 

L’un des points forts de la collection est assurément la peinture française du XVIIIe siècle, grâce à de très beaux tableaux signés Fragonard, Robert ou encore Chardin. Le musée peut même s’enorgueillir de posséder quatre natures mortes de ce dernier, provenant de la donation des frères Lavalard. Des natures mortes particulièrement admirées au siècle des Lumières et encensées par Diderot dans ses critiques du Salon, à l’instar des Lapins de garenne, une merveille de délicatesse et de réalisme.

Musée de Picardie, 2, rue Puvis de Chavannes, Amiens (80). Journée de réouverture : le 1er mars 2020 de 8 h à 20 h. Entrée gratuite. www.amiens.fr


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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°732 du 1 mars 2020, avec le titre suivant : Le nouveau Musée de Picardie, à Amiens

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