Après six ans de travaux, « le Zoologique », institution emblématique de Strasbourg, présente, avec une architecture modernisée et une scénographie dépoussiérée, sa foisonnante collection de spécimens animaliers. Visite guidée.
Ça pépie, ça court et, surtout, ça s’émerveille. Il est rare d’assister à un spectacle aussi enthousiasmant dans un musée. Il faut visiter le nouveau Musée zoologique un jour de vacances scolaires pour comprendre l’effet « waouh » qu’il produit sur ses visiteurs en culottes courtes. Il faut dire que les retrouvailles étaient attendues avec cette institution à laquelle les Strasbourgeois sont très attachés. Il a fallu en effet six ans pour que cette maison pluriséculaire fasse sa mue. Mue, le mot n’est pas trop fort pour évoquer un bâtiment historique qui a été mis aux normes de sécurité, d’accessibilité et dont les performances énergétiques ont été considérablement améliorées. Cette rénovation d’envergure a aussi été l’occasion de revoir totalement la distribution des espaces, afin de composer un parcours élargi, passant de 1 200 à 2 000 m2, plus fluide et lisible. Le tout en magnifiant le remarquable écrin qui conserve cette précieuse faune depuis 1893 dans la Neustadt, l’ancien quartier impérial allemand inscrit à l’Unesco. Ce puissant édifice néo-Renaissance est caractéristique de l’architecture solennelle dont on paraît alors les lieux culturels et scientifiques. Vitrine de la prestigieuse Université de Strasbourg, le musée était conçu comme un rouage essentiel de la recherche et de l’enseignement supérieur. Sa refonte a judicieusement accentué cette facette en renforçant les échanges avec le monde académique, en embrassant les thématiques de pointe sur lesquelles travaillent actuellement les chercheurs en biodiversité et cohabitation avec le vivant. Pour la refonte, décision a aussi été prise de ne pas poster du personnel de salle classique, mais de recruter des étudiants afin d’assurer la médiation, en même temps que la surveillance. Physiquement, l’interaction entre le campus et « le Zoologique », comme le surnomment affectueusement les habitants, se matérialise également par un choix architectural aussi fort qu’évident. Les gigantesques portes en bois d’antan ont élégamment été troquées contre des verrières qui donnent une sensation de porosité avec le campus et la rue.
Ce geste architectural est toutefois l’un des rares à avoir modifié considérablement l’allure du monument. « À chaque fois que cela a été possible, nous avons préservé les éléments historiques du bâtiment », précise son conservateur Samuel Cordier. « La façade a été restaurée, tout comme les escaliers, le décor peint et les parquets. Nous avons cependant dû refaire certaines vitrines à l’identique car elles ne répondaient plus aux exigences de conservation. » L’amélioration des conditions de conservation de ces collections, par essence fragiles, est d’ailleurs un des enjeux fondamentaux de ce projet. Les 1 800 pièces présentées ont ainsi bénéficié d’une restauration exemplaire, véritable chantier dans le chantier. Ces fonds sont d’une valeur inestimable en raison de leur profondeur historique. Ce temple de la biodiversité héberge ainsi des espèces disparues comme le grand pingouin, mais aussi des animaux rarissimes à l’image du cœlacanthe, ce poisson qualifié à tort de fossile. Le musée a par ailleurs le privilège de présenter des types, c’est-à-dire des spécimens de référence pour la description de leur espèce, comme la fameuse tortue d’Hermann. Un nom qui résonne fortement entre ces murs puisque le noyau des collections remonte au siècle des Lumières, quand le naturaliste alsacien Jean Hermann constitue son cabinet d’histoire naturelle en se faisant envoyer des spécimens du monde entier grâce à son exceptionnel réseau de savants. Ce fonds, acheté par la Ville en 1804, n’a depuis cessé de s’enrichir. Ce cabinet mythique, qui était autrefois évoqué par une reconstitution kitsch à souhait avec son mannequin en costume, a cédé la place à une immense vitrine immersive racontant la genèse du musée. Par le biais de scénographies inspirées, le musée a ainsi trouvé la bonne formule pour se raconter, mettre en valeur ses trésors et s’ancrer dans les enjeux contemporains.
De manière aussi subtile qu’efficace, l’institution réussit à dérouler deux siècles d’existence en alternant des propositions visuelles fortes. La transformation du musée durant l’Annexion allemande est ainsi évoquée par les colossales vitrines de la galerie des oiseaux qui sont un exceptionnel témoignage de la muséographie du XIXe siècle. Clou de la visite, cette salle captive totalement les visiteurs avec ses 600 spécimens magistralement soclés. « Nous souhaitions déployer au maximum les collections tout en soignant la qualité de présentation », résume le conservateur du musée. « Par ailleurs, nous voulions intégrer pleinement les sciences de l’environnement au discours du musée, tout en jouant la carte de l’émerveillement. » Mission accomplie ! Par ses accrochages inventifs, le musée ne cesse en effet d’interpeller le public, de le rendre pleinement acteur de sa visite, mais aussi de l’enchanter. La nouvelle mouture mixe ainsi différentes époques et multiplie les atmosphères. Ici, la reconstitution d’un laboratoire avec de nombreux instruments à manipuler ; là, un focus sur un animal dans une ambiance artistique. Exit les anciennes vitrines surchargées et illisibles, les spécimens les plus iconiques bénéficient désormais d’une mise en scène originale. Sept salles dites « totems » se concentrent ainsi sur un animal emblématique et racontent les relations complexes entre lui et l’homme, sans manichéisme. Les concepteurs ont eu l’ingénieuse idée d’habiller ces salles de papiers inspirés de la peinture contemporaine évoquant l’écosystème de ces animaux. Le parcours joue ainsi en permanence sur des surprises visuelles qui rythment la visite. Dès l’entrée, le ton est donné avec le hall de la biodiversité, la signature du nouveau musée. Refonte de fond en comble du hall, cette cage de verre vertigineuse agit comme un repère tout au long du parcours. L’autre belle trouvaille, c’est le cyclorama du Rhin. Cette salle reprend les codes du diorama d’hier, tout en le modernisant avec des projections de beaux dessins. Une franche réussite.
Elle semble toujours avoir flotté là. Et pourtant, la baleine suspendue est une nouveauté du chantier. Qui se douterait que ce monumental squelette, qui évoque joliment l’univers d’Adèle Blanc Sec [lire les BD de Jacques Tardi], était jusqu’alors conservé en caisse et qu’il a été redécouvert à l’occasion des travaux. Son installation sublime l’entrée du musée incitant à lever les yeux et à admirer le délicat décor peint. Elle attire évidemment aussi le regard vers le hall de la biodiversité, qui constitue le geste architectural de la rénovation.
Le gorille
Qu’il a fière allure ce primate aux faux airs de King Kong. La ressemblance n’a d’ailleurs rien d’une coïncidence car le spécimen a été réalisé au début du XXe siècle, en adoptant tous les codes esthétiques alors en vogue sur les grands singes. Agressif et viril, il semble ainsi défier le visiteur. Comme pour chacune des salles « totems », l’accrochage propose d’ailleurs une précieuse mise en contexte pour comprendre l’impact des représentations scientifiques et culturelles dans la construction de l’imaginaire d’une espèce.
Les Blaschka
C’est la « Joconde » du musée. L’établissement a en effet le privilège de posséder la collection de référence en France de modèles Blaschka. Ces petites merveilles de l’art verrier ont été réalisées par les Allemands Léopold et Rudolf Blaschka (père et fils) à la fin du XIXe siècle pour présenter aux étudiants des organismes marins particulièrement difficiles à conserver. Afin de restituer leur anatomie, les artisans les ont transposés dans une époustouflante dentelle de verre. Présentés pour la première fois dans leur intégralité, les 58 modèles composent une mise en scène spectaculaire et poétique.
Le morse
C’est un duo qui fait mouche. Le morse et l’éléphant de mer sont malicieusement installés dos à dos. Une scénographie maline pour expliquer que ces deux animaux sont souvent confondus, alors qu’ils évoluent dans deux océans polaires opposés. Autour de ces mastodontes de 4 m de long se déploie un parcours décryptant l’écologie des deux espèces. La salle présente la reproduction des crânes des spécimens à manipuler, ainsi que de rares artefacts racontant l’histoire de la chasse au morse au Groenland.
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Le Musée zoologique temple de la biodiversité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : Le Musée zoologique temple de la biodiversité







