Belgique - Musée

Le Musée royal des beaux-arts d’Anvers

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 17 novembre 2022 - 1329 mots

ANVERS / BELGIQUE

Après onze années de travaux, le Musée royal des beaux-arts d’Anvers rouvre ses portes avec un nouveau bâtiment digne de ses chefs-d’œuvre.

Musée royal des beaux-arts d’Anvers (KMSKA). © Karin Borghouts, 2022
Le Musée royal des beaux-arts d’Anvers.
© Karin Borghouts, 2022

Samedi 24 septembre 2022, l’ambiance était celle des grands jours à Anvers : concert, cotillons, performances et chefs-d’œuvre au programme. La ville était en effet en ébullition pour un événement attendu de longue date, la réouverture du Musée royal des beaux-arts. Onze ans que les habitants et les amateurs languissaient de pouvoir à nouveau arpenter les illustres galeries du plus important musée flamand. Véritable temple à la gloire des peintres du plat pays, ce vaisseau baroque avait dû tirer le rideau, car il était en piètre état. Certaines parties du vaste bâtiment menaçaient carrément ruine et l’on avait dû aménager de dérisoires chapiteaux pour mettre hors d’eau ses trésors inestimables signés Van Dyck, Jordaens ou encore Memling et Van der Weyden. Mais, au terme d’un chantier titanesque, Anvers retrouve enfin son plus beau diamant, un écrin magnifiant des collections dont l’histoire se confond avec celle de la cité.

Le temple des artistes flamands

Les fondements de la collection remontent ainsi à la prestigieuse guilde de Saint-Luc, la corporation des peintres locaux conservant des œuvres emblématiques dès le XVIe siècle. Mais ce sont les soubresauts géopolitiques au lendemain de la Révolution française qui engendrent le musée tel que nous le connaissons. Sous l’occupation des troupes françaises à partir de 1794, églises, monastères et bâtiments publics sont passés au peigne fin. Les pièces les plus insignes sont saisies et envoyées à Paris. Les autres restent à Anvers et sont présentées dans un embryon de musée qui prend ses quartiers dans l’ancien couvent des frères mineurs. Après la défaite de Napoléon, les trésors spoliés sont restitués et reviennent acclamés par la foule. Ce retour triomphal va doper la célébrité de Rubens. L’enfant du pays change alors de statut et devient l’icône de la cité, à telle enseigne que le nouveau musée sera même conçu comme un autel à sa gloire. Lorsqu’il est inauguré en 1890, c’est la consécration pour le maître baroque, dont le site abrite vingt-sept tableaux. L’étage noble est d’ailleurs aménagé pour magnifier ses spectaculaires retables, à commencer par L’Adoration des mages qui devient rapidement la Joconde du musée. Les conservateurs d’alors osent aussi un parti pris très moderne en exposant, au rez-de-chaussée, un ensemble de photographies documentant le corpus de l’artiste, ainsi qu’un fonds remarquable de gravures de Rubens. Le décor déclamatoire typique de cette architecture en vogue dans les musées fin de siècle est lui aussi une ode à Rubens, dont on retrouve le portrait dans le vestibule. Sa silhouette immédiatement reconnaissable, avec son chapeau de gentilhomme emplumé, se distingue entre autres dans l’immense composition de De Keyser. Longue de treize mètres, la toile marouflée La Renommée de l’école artistique d’Anvers, qui orne le vestibule, est un manifeste qui donne d’emblée au visiteur le ton du musée : le site est un éloge aux artistes flamands.

Nouvelle salle de l'extension du Musée royal des beaux-arts d'Anvers (KMSKA) conçue par KAAN Architecten. © Karin Borghouts, 2022
Nouvelle salle de l'extension du Musée royal des beaux-arts d'Anvers (KMSKA) conçue par KAAN Architecten.
© Karin Borghouts, 2022
Entre tradition et innovation

Tout au long du XIXe siècle, et aujourd’hui encore, cet angle a en effet été le principal axe de développement des collections du musée. Sans exclusive cependant, car les fonds ont pris une couleur plus internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’établissement a aussi été modelé par les apports successifs de grands mécènes, essentiellement des entrepreneurs et des amateurs locaux. Certains dons ont même bouleversé la physionomie des collections, à l’image du legs du chevalier Florent van Ertborn. L’ancien bourgmestre avait en effet un goût sûr et le nez creux, puisqu’il a amassé un véritable trésor. Imaginez un peu : grâce à lui, ce sont une centaine d’œuvres majeures des primitifs qui entrent au musée, Van Eyck, Memling, Antonello de Messine, sans oublier Van der Weyden. Ce legs propulse le musée parmi les pionniers de la reconnaissance de ce Moyen Âge tardif que l’on redécouvre alors. Parallèlement, le musée s’enrichit dès le mitan du XIXe en œuvres d’art contemporain, tous courants confondus, de la peinture troubadour au mouvement nazaréen allemand, en passant par les pompiers français. L’institution a aussi la brillante idée de demander aux membres internationaux de la puissante Académie d’Anvers d’abonder son fonds. C’est ainsi que ce que l’on nommerait aujourd’hui des professeurs invités offrent des œuvres, à l’instar d’Ingres donnant l’un de ses tout derniers tableaux, un autoportrait bien sévère. Les conservateurs du musée se distinguent aussi par leurs choix courageux en achetant précocement des artistes radicaux. Ensor, l’autre vedette de la maison, est ainsi collectionné très tôt, ce qui permet au musée de constituer la plus vaste collection d’œuvres du maître moderne d’Ostende. Il peut aussi se targuer d’avoir commencé à collectionner l’avant-garde française bien avant ses homologues de l’Hexagone ! Fidèle à son héritage, le musée a ouvert largement ses portes aux artistes contemporains pour son retour. Quelle n’a pas été la surprise des visiteurs de découvrir ainsi, dans une époustouflante salle dédiée à la Passion, un poignant écorché de Berlinde De Bruyckere dialoguant avec les maîtres des lieux.

Un musée du XXIe siècle 

Inadapté aux conditions de conservation et aux standards de visite actuels, le site a dû subir un lifting à 100 millions d’euros ! Le monument a été restauré de fond en comble, retrouvant son atmosphère emblématique de palais des arts avec ses murs rouge pompéien et ses décors à l’or fin. Parallèlement, une extension malicieuse, imaginée par l’agence KAAN Architecten, a permis de gagner 40 % de surface d’exposition, en dotant les patios historiques de dispositifs d’accrochage modernes. Cet agrandissement permet de déployer généreusement la collection dans un parcours inédit, riche de six cent cinquante tableaux, sculptures et objets d’art. Cet ensemble, dont la moitié a été restaurée, est présenté selon des partis pris audacieux. La visite est ainsi scandée par des confrontations inattendues, pour ne pas dire irrévérencieuses, des rapprochements thématiques et même des accrochages par couleur. Si toutes les propositions ne font pas mouche, certains télescopages interpellent et invitent à revoir avec un œil neuf ces chefs-d’œuvre, à l’image de cette rencontre entre Fra Angelico et l’art moderne soulignant la radicalité du maître.

Isabelle Manca-Kunert

  Jean Fouquet, "La Vierge à l’Enfant" 

C’est le tableau qui dispute, avec L’Adoration des Mages de Rubens, le titre d’icône du musée. Ce panneau est ultra célèbre, car il représenterait la mythique Agnès Sorel. Il constitue surtout un extraordinaire morceau de peinture aux accents surréalistes avant la lettre. De plus, il s’agit d’une des très rares œuvres de Jean Fouquet qui nous soit parvenue. Afin d’accentuer encore son aura, le nouveau parcours le présente dans un accrochage propice à la contemplation, à côté d’un délicieux Van Eyck.


Rogier van der Weyden, "Les Sept Sacrements" 

Quel superbe exemple de mise en abyme ! Ce retable très architecturé décrivant l’intérieur d’une église gothique ornait en effet initialement une chapelle. Ce chef-d’œuvre est l’un des trésors de la fameuse donation du chevalier Van Ertborn. On y retrouve tous les ingrédients du célèbre primitif flamand, notamment le sens acéré du réalisme et un talent inouï pour évoquer les sentiments. Jamais auparavant un artiste n’avait saisi avec une telle véracité la douleur ni représenté les larmes.


Pierre Alechinsky, "Le Dernier Jour" 

Les conservateurs du Musée d’Anvers ont souvent eu le nez creux et une certaine audace dans leurs acquisitions contemporaines. Ils ont, par exemple, acheté cette peinture monumentale de Pierre Alechinsky quelques années à peine après sa réalisation. Cet immense tableau, dernière peinture à l’huile de l’artiste, a souvent été considéré comme un hommage expressionniste et gestuel à l’univers apocalyptique et monstrueux de Bosch et Bruegel.


Ensor, "L’Intrigue" 

Le musée peut se targuer de conserver la plus grande collection d’œuvres de James Ensor au monde. Ce fonds est désormais magnifié dans un écrin à sa hauteur, puisqu’il bénéficie d’une aile rien que pour lui dans l’extension. Ce parcours haut en couleurs retrace l’évolution du peintre depuis sa découverte de l’impressionnisme jusqu’à l’affirmation de son style éminemment personnel et avant-gardiste. Célébrissime tableau, L’Intrigue résume à lui seul l’univers grimaçant et décalé du peintre d’Ostende.

Musée royal des beaux-arts d’Anvers (KMSKA)

Leopold de Waelplaats 2, Anvers (Belgique). Lundi, mardi, mercredi et vendredi de 10 h à 17 h, jeudi de 10 h à 22 h, samedi, dimanche et vacances scolaires de 10 h à 18 h. Tarifs : 10 à 20 €. kmska.be

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°759 du 1 novembre 2022, avec le titre suivant : Le Musée royal des beaux-arts d’Anvers

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