Un nouvel administrateur

Le Mobilier national à la recherche de son lustre d’antan

Un projet de mise en valeur pour la vénérable institution soupçonnée, en son temps, de laxisme

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 868 mots

Jacques Toubon vient de nommer un nouvel administrateur, Jean-Pierre Samoyault, au Mobilier national. Il devra définir un projet de mise en valeur artistique et de développement économique pour cette institution, dont la gestion n’a pas toujours été exempte de reproches.

PARIS - Diplômé de l’École des chartes, conservateur général du patrimoine et créateur du Musée Napoléon de Fontainebleau, Jean-Pierre Samoyault, 55 ans, a été appelé par le ministre de la Culture et de la Francophonie à la tête du Mobilier national. Statutairement, il devient administrateur général de cette institution héritière du "Garde meuble royal", mais aussi des "Manufactures nationales", c’est-à-dire les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie. L’ensemble de ces institutions, rassemblées depuis les années 30 sur le même site du XIIIe arrondissement – autour de la manufacture des Gobelins – est né de la volonté de Colbert de réunir, au service de l’État, royal puis républicain, l’excellence des "métiers d’art". Leur principale mission est de fournir ameublements et ornements, autrefois aux demeures royales, aujourd’hui aux palais nationaux et aux hauts lieux de la République.

"Jean-Pierre Samoyault a pour mission d’élaborer un vaste projet de mise en valeur artistique et économique", précise Alain Bonhomme, délégué adjoint aux Arts plastiques (la délégation aux arts plastiques exerce la tutelle sur le Mobilier national et sur les Manufactures nationales depuis 1982). Le nouvel administrateur étudie déjà l’aménagement, sur le site des Gobelins, d’un lieu destiné à la présentation des collections du Mobilier national et des réalisations des manufactures attenantes. Cet espace se déploierait sur deux étages, en intégrant l’actuelle Galerie Formigé, inaugurée en 1913, où sont actuellement présentées des tapisseries.

"Il ne s’agit surtout pas de réaliser un musée figé, précise Jean-Pierre Samoyault, mais une galerie publique où seraient mis en valeur les collections et les savoir-faire du Mobilier national et des Manufactures." Ce choix impliquerait le déplacement de certains ateliers de l’avenue des Gobelins vers la rue Croulebarbe voisine. L’ensemble du site, restauré, constituerait un magnifique pôle d’attraction artistique et patrimonial, dans cet arrondissement de la capitale, à l’environnement parfois ingrat, mais cher au "ministre-maire" Jacques Toubon. La mise en valeur économique, quant à elle, concerne davantage les manufactures, et pourrait s’appuyer sur la volonté réaffirmée par le ministre de revaloriser les métiers d’art.

Disparitions
Jean-Pierre Samoyault devra exercer l’autorité qu’on lui prête au sein des musées de France pour réaliser ces projets mais également pour gérer l’inventaire des collections et veiller aux dépôts. La Cour des comptes, dans son rapport de 1992, faisait état de disparitions d’objets mis en dépôt par le Mobilier national. Les dépositaires coupables de ces "négligences" – essentiellement le ministère des Affaires sociales et de l’Intégration, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle et le ministère de la Santé et de l’Action humanitaire –, mis en cause, ont été contraints, d’une part, à dédommager financièrement le Mobilier national, d’autre part, à engager des poursuites judiciaires. Le ministère des Affaires sociales a dû verser 84 500 francs pour une paire de candélabres Louis XVI, disparue dans les années 80, puis 100 000 francs pour la disparition d’une table à écrire Louis XVI déposée dans le bureau du directeur des hôpitaux.

En 1992, ce même ministère devait émettre un titre de perception de 310 000 francs au profit du ministère de la Culture en compensation d’une vitrine époque Louis XVI ! L’insistance de la Cour des comptes, qui soulignait le "caractère insolite de l’absence d’un meuble aussi important...", obligea les services compétents des ministères concernés à engager des poursuites judiciaires, au moins pour faire taire les rumeurs selon lesquelles tel ou tel ministre aurait meublé son domicile parisien sur le compte du Mobilier national... À défaut d’avoir pu déterminer les circonstances de toutes ces disparitions, le Parquet de Paris a classé les dossiers, ouverts après ces plaintes. Cette situation amena Georges Mesmin, député de Paris, à poser en juillet 1993 une question écrite au ministre de la Culture en affirmant que "ces disparitions constituent des pertes irréparables pour le patrimoine culturel de la nation. Ce sont les contribuables qui font, en définitive, les frais du remboursement, déplorait-il. Les auteurs de ces manquements à la probité échappent à toute sanction... et les plaintes pour vol ont été trop rapidement classées." "Seule une nouvelle plainte pourrait relancer l’affaire", explique-t-on aujourd’hui au cabinet du député.

Or le ministère de la Culture, quant à lui, n’a engagé à ce jour aucune action judiciaire au nom du Mobilier national. Le rapport de la Cour des comptes mettait indirectement en cause le peu de rigueur du Mobilier national dans la tenue de ses inventaires, son peu d’empressement à récolter sur place les dépôts, et son trop grand laxisme à l’égard des administrations dépositaires.

Alain Bonhomme tient aujourd’hui à relativiser la "disparition de ces meubles : la Cour a fait son travail, mais l’affaire était marginale, estime-t-il. Cependant, nous avons pris conscience de la nécessité d’une gestion plus rigoureuse de notre inventaire, de nos collections et de veiller au suivi, administratif et technique, de nos dépôts".

La revue Monuments historiques (éditée par la Caisse nationale des monuments historiques et des sites) a consacré son numéro 190 du mois de décembre 1993 (60 francs) au Mobilier national et aux Manufactures nationales.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Le Mobilier national à la recherche de son lustre d’antan

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