« Le drame d’Assise humilie l’Italie »

Pour Bruno Zanardi, le drame aurait pu être évité

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 1997 - 880 mots

Après l’effondrement de la voûte de la basilique supérieure de Saint-François d’Assise et la perte d’une partie des cycles peints par Cimabue et Giotto, interrogations et polémiques se multiplient. Bruno Zanardi a travaillé pendant des années à la restauration des fresques d’Assise ; il a consacré à ces travaux un ouvrage monumental, en collaboration avec Federico Zeri. Interrogé par nos correspondants, il souligne les erreurs et les incohérences en matière de protection du patrimoine et dénonce \"les querelles de spécialistes\" qui bloquent toute action concrète.

Pensez-vous, comme Federico Zeri, que la voûte ne se serait pas écroulée si l’on avait évité de remplacer les poutres en bois de la toiture par du ciment armé ?
Je ne suis pas un ingénieur spécialiste de la résistance des matériaux, mais au cours de ma longue carrière, j’ai souvent entendu dire que des couvertures en ciment avaient entraîné des effondrements.

Quels indices permettent de conclure à la "responsabilité" du ciment ?
La voûte s’est écroulée. Pas le toit au-dessus, qu’on aperçoit à travers le trou. La couverture ancienne – remplacée il y a moins de cinquante ans par des poutres en ciment – était entièrement en bois. Elle résistait différemment aux sollicitations. De plus, le processus dynamique de l’effondrement dirige nettement les soupçons vers la couverture moderne. Ont été touchées, en effet, la voûte de la première travée (à partir de la façade) et celle de la cinquième travée, qui jouxte le transept. Cela évoque un effet de martèlement dans un corps rigide, avec transmission intégrale de l’onde de choc.

Assise est une zone à très haut risque sismique. Connaît-on d’autres dommages subis par la basilique au cours des siècles ?
On dispose, à ce sujet, de données précises : depuis 1349, pas moins de 23 séismes ont été répertoriés ! Certains très violents. Au XVIIe siècle, la ville fut deux ou trois fois à moitié détruite. Pourtant, de la consécration du sanctuaire, en 1253, aux années cinquante, date de l’intervention du Génie civil sur la toiture, on ne connaît aucun effondrement de la voûte.

Aurait-on pu éviter cet effondrement ?
Il est tout de même étonnant que personne n’ait eu l’idée de mettre la basilique aux normes anti-sismiques. Sur le plan de la structure, l’édification d’un appui extérieur par un système de contreforts aurait constitué la meilleure protection. Cette méthode a fait ses preuves au cours des siècles. Mais comment aurait réagi l’opinion publique devant une série de saillies extérieures destinées à protéger la basilique ?

On aurait sans doute hurlé au massacre, mais la catastrophe aurait été évitée…
Giovanni Urbani – le seul qui ait fait des propositions pour la préservation du patrimoine artis­tique – a organisé, le jour de sa démission symbolique de l’Institut central, une exposition intitulée “La protection du patrimoine artistique contre le risque sismique”. Presque une prophétie ! Dans le plan pilote de conservation programmé par les Biens culturels pour 1976, le risque sismique avait été mis au premier rang des préoccupations, et notamment en Ombrie. Que l’on n’ait pas réussi à prévenir le drame d’Assise représente une terrible humiliation pour l’Italie. Ceci dit, des contreforts n’auraient pas nécessairement sauvé la voûte mais, au moins, nous aurions eu la conscience tranquille, le sentiment d’avoir fait tout ce qui pouvait l’être.

Paradoxalement, les fresques de la basilique d’Assise faisaient l’objet d’une surveillance et d’un entretien continus.
Oui. Il n’y avait pas de fresques, en Italie, mieux surveillées. Cela nous enseigne qu’il est absurde de travailler sur une partie d’un édifice et non sur le tout.

Que pensez-vous de l’hypothèse d’une tentative de restauration des fresques endommagées ?
Elle est impensable. Les fresques des première et cinquième travées sont réduites en poussière, ou en fragments gros comme des pièces de 1 franc. Les débris ont dû être fouillés pour dégager les corps. La couche peinte, tombée en premier, a été broyée par la chute de l’intonaco (sous-couche de plâtre) et des pierres de la voûte.

Quelle solution adopter pour combler le vide laissé par les fresques ?
Devant une blessure aussi grave infligée au corps moral de la nation, on serait presque tenté de faire un faux, afin de prouver qu’enfin, quelque chose change dans ce pays. Le patrimoine italien pâtit surtout des querelles de spécialistes : faut-il garder la patine, intégrer les restitutions par hachures ? Quand commence le faux ? Quelle est la part de l’historique et du non-historique ? Si l’on ne sort pas de ces débat secondaires, on ne résoudra jamais rien.

Quels étaient les dix commandements de Giovanni Urbani ?
Ils étaient, en fait, au nombre de trois : prévention, entretien et limitation des interventions aux cas indispensables.

Les fresques attribuées à Giotto ont été moins endommagées que celle de Cimabue. Les conditions météorologiques rendent les travaux de restauration très difficiles. Une structure métallique de 3,5 tonnes a été mise en place à l’aide d’une grue contre le tympan du transept gauche qui menace de s’effondrer sur la chapelle Saint-Jean-Baptiste de la basilique inférieure, où se trouvent de superbes fresques de Pietro Lorenzetti. Des ouvriers spécialisés et des pompiers experts en alpinisme se sont efforcés de fixer l’énorme structure sur le tympan en pierre pesant près d’une centaine de tonnes et situé à près de 40 mètres de hauteur. Ces travaux sont d’autant plus nécessaires que de mini-secousses sismiques continuent d’être enregistrées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°46 du 24 octobre 1997, avec le titre suivant : « Le drame d’Assise humilie l’Italie »

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque