Analyse

Le Centre Pompidou repense son accrochage

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 983 mots

Le Musée national d’art moderne a retrouvé après plusieurs mois de travaux l’intégralité de ses deux étages. Nouvelles confrontations et acquisitions récentes sont en vedette.

 PARIS - L’année des trente ans du Centre Pompidou est marquée pour le Musée national d’art moderne (MNAM) par une reconquête complète de son périmètre, ses deux étages consacrés aux collections permanentes, après divers travaux. Depuis l’ouverture début février de l’étage historique, c’est en avril, au tour du quatrième étage, celui du contemporain, de venir compléter le déploiement historique. L’ambition du MNAM dans ses murs s’y affirme au gré d’un accrochage qui propose bien sûr des moments très différents : de 1905 à nos jours en quarante salles pour la période moderne (quarante et une à la fin de l’exposition « Arshile Gorky » en juin) et trente-deux pour les collections contemporaines.
S’y ajoutent les difficiles percées transversales, les « rues », ainsi que le Cabinet d’art graphique qu’occupe actuellement l’œuvre dessiné de Pierre Klossowski et la galerie du musée avec l’exposition « Ateliers : l’artiste et ses lieux de création ». Le programme de visite est consistant, avec une redistribution de l’ensemble des collections. Deux partis pris marquent l’étage moderne. Premièrement, l’inversion du cheminement du parcours, auquel le visiteur devra porter attention. Car le débouché du quatrième étage, accès unique, conduit directement… à la salle 41. Oubliez-la (pour l’instant) et engagez-vous dans la travée centrale pour toucher à l’autre parti pris, celui du cheminement qui désormais longe la façade Ouest avant de revenir par le labyrinthe des salles, côté rue du Renard. Sous la direction d’Isabelle Monod-Fontaine, les conservateurs ont tracé une chronologie faite d’unités identifiées, sinon autonomes, suivant divers thèmes : moment historique, monographie, dialogue (Calder-Miró dans les années 1930), lieux de création (la Ruche, la Galerie Maeght), personnalités (André Breton, Michel Tapié ou le galeriste Jean Fournier), groupes (Die Blaue Reiter), revues (les Cahiers d’art) ou encore événements (l’exposition de 1937). Appuyés sur les points forts de la collection, les fonds et donations de première importance – comme Kandinsky, Matisse, Arp, Pevsner, Rouault, Chareau ou Prouvé –, les salles donnent à voir, comme le rappelle Angela Lampe, l’une des conservatrices de l’équipe, les logiques de travail et de recherche, souvent en associant les complémentarités de vocabulaire des artistes. C’est d’ailleurs autour de l’idée d’atelier en tant qu’unité physique (comme lieux) ou historiques (comme moments) que se dessine une histoire en archipels analytiques, qui n’en permet pas moins un balayage historique convaincant. S’ajoutent les présences d’œuvres nouvelles (un Matisse ici, un Arp là, un Rothko, des maquettes comme le pavillon de verre de Saint-Gobain de Adnet et Coulon), des réussites monographiques (la belle salle nord avec Léger, l’ensemble d’inachevés de Rouault très dense – quelque 120 pièces – qui dépassent la lecture thématique pour montrer l’obstiné travail proprement pictural) et des suggestions de rapprochements pertinentes dans une relative liberté de circulation. Seules de bien encombrantes vitrines érigent leurs structures métalliques rhétoriques, au point que nombre d’entre elles ont dû être escamotées, faisant disparaître le cœur documentaire de certaines salles (« Documents », par exemple).

L’étage du contemporain
L’étage inférieur, en revanche, ne parvient guère à relever la gageure d’une proposition de lecture décisive. Bien sûr, le contemporain y résiste dans sa dispersion formelle comme dans ses enjeux, mais les unités tracées, très prévisibles (« la » peinture, des monographies, l’art mondialisé, l’antiforme) contribuent à des rapprochements forcés, par proximités analogiques et parfois par surnombre de pièces présentées. Les secteurs design et architecture sont isolés avec d’assez belles et classiques salles thématiques (Surfaces et interfaces ou Processus de production) ou une autre consacrée au gonflable. Il y a au long du parcours un bon nombre d’acquisitions nouvelles, un Fromanger récent (2003-2006) ici, un Venet de 1968, deux Twombly (1962 et 1969), un petit Chéri Samba (1982) et une grande pièce de l’artiste ghanéen El Anatsui (Sasa, 2004) vue dans l’exposition « Africa Remix ». Ces deux dernières sont associées à une frise condensée sur un mur de Nancy Spero, un Cai Guo-Qiang et un Fang Lijun assez démonstratifs et une installation de Subodh Gupta dans une salle qui, finalement, assigne aux œuvres une spécificité « mondialiste » bien discutable. Récemment restauré, My Flower Bed (1962) de Yayoi Kusama s’avère une des bonnes surprises comme le beau et tout nouveau Helmut Dorner (G-H Soup, 2003), ou encore le Michael Sailstorfer (Allemand né en 1979, avec Cast of the surface of the dark side of the moon, 2005, entre minimalisme et onirisme) présenté dans une salle bien peu lisible. Des Golub, Sykora, Lasker, Dumas, Desgrandchamp et Garouste comptent au nombre des peintures nouvelles qui ne me semblent pas bien propres à faire avancer la question du médium aujourd’hui. La difficulté de conception d’un accrochage tient peut-être aussi à la diversité des origines des pièces nouvelles, arrivées pour une bonne part par dons. Il n’est pas question de le regretter, mais de s’interroger sur les cohérences des ensembles ainsi constitués. Signalons, par ailleurs, un singulier outil de lecture non seulement de la collection, mais aussi de l’accrochage, avec un parcours impressionnant, salle après salle et œuvre par œuvre, des deux étages : le « musée imaginaire » n’est plus un fait d’imagination (à consulter sur http://www.cen trepompidou.fr sous la rubrique « visite du musée »).
Il faudra encore s’arrêter, avant de quitter le Centre, sur l’exposition « Ateliers : l’artiste et ses lieux de création » explorant de manière documentaire l’espace physique et mental de l’atelier comme un autre lieu de l’œuvre. Avec l’importante sélection de documents, en particulier des revues venues du fonds Destribats présentés dans les travées de l’étage historique (quelque 500 numéros), la Bibliothèque Kandinsky, en portant ce projet d’exposition et de publication qui l’accompagne, s’affirme dans son rôle scientifique au côté du musée, sous la férule de Didier Schulmann. De l’impasse Ronsin, chez Brancusi, au « poststudio » des Fluxus ou des land-artists au bureau virtuel de l’ordinateur, ce sont quelques notables figures de l’atelier (avec soixante-dix artistes évoqués sur une chronologie de cent ans) et du travail artistique qui se trouvent dessinées là.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Le Centre Pompidou repense son accrochage

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