L’art de l’encadrement

Les montages classiques remis au goût du jour

Le Journal des Arts

Le 4 avril 1997 - 721 mots

Installé depuis novembre rue de Louvois, à Paris, Antoine Béchet, 33 ans, est habité par la passion de son métier : l’encadrement. Exigeance et tradition sont les points forts de ses créations, très appréciées des connaisseurs.

PARIS - "Un "sujet" à encadrer est véritablement une rencontre avec une personne." L’approche d’Antoine Béchet est très respectueuse de l’œuvre et, pour être réussie, son intervention doit rester discrète afin de "mettre en valeur les qualités du sujet sans que l’encadrement se voie". Antoine Béchet privilégie les bases de travail traditionnelles, ainsi que ce qu’il définit volontiers comme la "culture du goût". "Un cadre est beau lorsqu’il est en même temps décoratif, dans le meilleur sens du terme, et qu’il a les couleurs de l’époque, de l’artiste. Il y a alors un subtil rappel d’ambiance."

Formé depuis son plus jeune âge en atelier, il a découvert ces "recettes anciennes" transmises de maître en apprenti. "J’ai commencé ce métier à l’âge de 18 ans avec un premier ouvrier de France, Henri Liétard, à Paris. J’ai eu tout de suite le goût du travail sur papier." Le premier choc décisif avait eu lieu peu de temps auparavant, au hasard de la visite d’un atelier : "J’ai vu dans une cuve tremper un dessin d’Alfred de Dreux, La fuite amoureuse." La vision de cette œuvre romantique le fascine et l’oriente vers le métier d’encadreur, "plus artistique" que celui de restaurateur. Il commence alors son apprentissage chez Mirabel, un très bon encadreur de la rue de Villiers, à Paris, puis chez Liétard. Après un tour de France, il rejoint Bruno Monneret, encadreur d’art contemporain. "Nous réalisions des cadres pour la Fiac Les techniques sont différentes, sur de grands formats, ainsi que les matières : plexiglas, acier, bois brut, bois sablé... Tout cela s’éloignait trop de mon goût du papier."

Il travaille alors chez Montanari, marchand réputé de cadres anciens, où il affine encore ses connaissances dans ce domaine. Au bout de quatre ans, il prend la "décision inattendue de tenter l’aventure" en créant sa propre activité. Installé depuis peu dans l’ancienne galerie de Jean-François Baroni, un bel et agréable espace, Antoine Béchet encadre surtout des œuvres anciennes et porte un soin particulier au choix des couleurs, du cadre, de préférence d’époque. "Il faut en moyenne cinq heures pour réaliser un passe-partout, en tenant compte du temps passé avec le client pour choisir la nuance." La recherche de couleur est en effet la plus délicate et la plus longue. La nuance est effectuée sur mesure au lavis et comparée ensuite au dessin. L’étape suivante est le choix du cadre, fondamental. "Nous essayons de trouver des cadres dans leur patine d’origine, ce qui est de plus en plus rare. Ils ont parfois été repeints avec de la bronzine, entre autres." Il faut que l’encadrement soit "une évidence" : "Un trop beau cadre sur un dessin de qualité moyenne va le desservir."

Le métier est exigeant, le résultat doit être "irréprochable". "Les amateurs de dessin, notamment, ont le goût du trait et sont soucieux du travail bien fait. Il m’arrive de refaire un montage avant de le montrer." Le coup de biseau, par exemple, ne doit pas "se sentir". Pour les filets d’or de ses passe-partout, Antoine Béchet utilise de grandes feuilles patinées, froissées, frottées au papier de verre ou aux pigments. En rupture avec ce travail "académique", Antoine Béchet organise dans son atelier des expositions d’art contemporain ou de photographies, comme celles de Carlos Freire sur le bouddhisme zen. Les encadrements dévoilent alors une autre facette de sa créativité, avec des marges en terre d’argile ou en soie de toutes les couleurs pour accompagner ces photographies d’Asie. "Ces expositions montrent que notre travail est très complémentaire de celui de l’artiste", explique Antoine Béchet, qui n’a, pour le moment, pas de réel projet de galerie. L’atelier reste un "espace secret", afin de préserver la confidentialité vis-à-vis du client. "C’est une règle très importante. D’ailleurs, le temps où le sujet est visible est extrêmement bref." La séduction de son métier reste intacte : "Un jour, quelqu’un m’apporte un dessin de Modi­gliani, dans une malle qui n’avait pas été ouverte depuis 1918. Il y avait là une atmosphère extraordinaire : ce dessin était chargé de l’énergie de cette époque."

Antoine Béchet, 12 rue de Louvois 75002 Paris, tél. 01 42 96 81 49

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : L’art de l’encadrement

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