Conservation

L’art contemporain à l’épreuve du temps

Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2004 - 752 mots

Les « Spot paintings » de Damien Hirst posent de sérieux problèmes de conservation. En cause, la mauvaise qualité de la peinture utilisée par l’artiste.

 LONDRES - Le 12 novembre à New York, une « Spot painting » (peinture à pois) réalisée en 1997 par Damien Hirst, Caesium Carbide 89, s’est vendue pour 366 400 dollars (env. 300 000 euros) chez Sotheby’s. Mais comment va-t-elle évoluer dans l’avenir ? Réalisée avec de la peinture acrylique, cette toile devrait se conserver certainement mieux qu’Abelone Acetone Powder (1991), une autre « Spot painting » présentée à la dernière Biennale de Venise. De larges craquelures étaient en effet visibles à la surface de l’œuvre, exposée au Musée Correr dans le cadre de « Peinture : de Rauschenberg à Murakami » et prêtée par un collectionneur privé par l’intermédiaire de la galerie Haunch of Venison de Londres. Nous nous sommes adressés à plusieurs conservateurs de musée sur les origines de ces craquelures.
Première cause probable : le transport jusqu’à Venise. La circulation des œuvres d’art est la raison la plus courante des dégâts, provoqués soit par les changements de température soit par la tension endurée par la toile.
Une autre explication, plus inquiétante, viendrait de la nature même des « Spot paintings ». Damien Hirst a appliqué sur sa toile de la banale laque de peinture, ici comme pour 99 % des 200 autres tableaux de cette série. Cette peinture, moins résistante que la peinture à l’huile, s’adapte mal à un support aussi souple que la toile et elle aurait tendance à se craqueler. Harriet Standeven, qui étudie les différents types de peinture pour sa thèse sur la conservation au Royal College of Art, à Londres (en partenariat avec le Victoria & Albert Museum), explique que ces produits, généralement un mélange à base de résine alkyde et d’huile modifiée, seraient « trop rigides pour s’accommoder des mouvements de la toile ». Préférant garder l’anonymat, un restaurateur réputé nous a également informés de cette éventualité.
Sur le plan commercial, de telles craquelures pourraient avoir une incidence sur la valeur marchande d’Abelone Acetone Powder. Un important marchand londonien, qui a lui aussi souhaité garder l’anonymat, nous a confirmé que cette toile peut « perdre entre 10 et 30 % de sa valeur, selon le marché ».
Si ces dégâts se révèlent inhérents à l’œuvre, en d’autres termes inévitables, les acheteurs en feront les frais. Non seulement la valeur du tableau en sera réduite, mais les questions d’assurance deviendront délicates. William Perry, avocat chez Charles Russell Solicitors à Londres, spécialisé en assurance et gestion de conflits autour des œuvres d’art, estime que cette œuvre pourrait ne pas être « assurable sur le plan pratique ». Une protection des acheteurs est néanmoins envisageable. L’acquisition d’un tableau pourrait s’accompagner de la signature d’un contrat stipulant que l’artiste procède à la restauration de l’œuvre, dans le cas où cette opération se révélerait nécessaire. White Cube, la galerie qui représente Damien Hirst, Haunch of Venison et l’atelier de l’artiste n’ont pas souhaité s’exprimer à ce sujet.

Détérioration implicite
Lors de la conférence « Avant que l’art ne s’effondre », organisée le 28 octobre 2003 à la Royal Society of Arts de Londres par la compagnie d’assurances AXA Art, la durée de vie éphémère des œuvres d’art contemporain était au centre des discussions. Pour une fois, les spécialistes concernés – assureurs, conservateurs, commissaires d’exposition – ont ouvertement et officiellement débattu sur cette question. Le problème majeur vient de l’utilisation fréquente par les artistes contemporains de matériaux qui se détériorent rapidement ou qui se dégradent lorsqu’ils sont associés à certains autres. Comme l’a expliqué Sean Rainbird, conservateur à la Tate Gallery de Londres, les musées s’efforcent de maintenir les conditions idéales de conservation pour l’art contemporain. Les artistes sont d’ailleurs souvent invités à superviser les restaurations. Mais ces problèmes pourraient entraîner une réévaluation de la signification de ces œuvres. Certains artistes considèrent en effet l’utilisation de ces matériaux à dégradation rapide comme partie intégrante de leur art.
L’avocat William Perry suggère une autre manière d’assurer ces travaux. Les œuvres d’art pourraient bénéficier d’une « assurance vie » : la détérioration étant implicite, chacun pourra assurer une œuvre sur une période choisie. William Perry rajoute « qu’il n’y a aucune raison théorique pour laquelle, avec les éléments nécessaires, une police d’“assurance vie” ne puisse être rédigée. » Ces informations pourraient être extrêmement difficiles à réunir, mais, « si les gens souhaitent suffisamment assurer quelque chose, et pour une prime suffisamment élevée, alors quasiment tout est assurable. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : L’art contemporain à l’épreuve du temps

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