Musée

L’art contemporain emménage chez Ceausescu

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2005 - 776 mots

BUCAREST / ROUMANIE

L’ancien palais du dictateur roumain héberge le nouveau musée d’art contemporain, conseillé par des personnalités françaises. Plusieurs acteurs locaux dénoncent son installation en ces lieux de triste mémoire.

BUCAREST - Le nouveau Musée national d’art contemporain de Roumanie vient d’ouvrir ses portes dans l’aile E 4 de l’immense palais du Parlement, plus connu sous le nom de « palais Ceausescu ». Ses dimensions, 270 mètres sur 244, en font le plus vaste bâtiment du monde après le Pentagone. Il a été édifié par Nicolae Ceausescu, qui a régné sans partage sur la Roumanie de 1965 à 1989. La construction de l’ensemble, commencée en 1984, n’a jamais été terminée. Pour dégager les terrains nécessaires, Ceausescu a rasé 7 000 résidences et 26 églises du sud de Bucarest, et déplacé 70 000 habitants dans les environs de la capitale.
Ce palais né de son caprice, suprêmement kitsch par son style dictatorial néobaroque, ni Ceausescu ni son gouvernement ne l’ont jamais occupé : après la révolution de 1989, le procès du dictateur et son exécution, le palais fut laissé à l’abandon et sa démolition fut même envisagée. En 1994, il devint néanmoins le siège du nouveau Parlement roumain, qui vota en 1998 la création d’un Musée national d’art contemporain dans les murs du palais, lesquels restent en grande partie inoccupés.
Le directeur du musée, Mihai Oroveanu, un ancien photographe qui a soutenu le projet dès le début, nous a confié : « Le musée a été long à naître. C’est grâce à l’intérêt du Premier ministre Adrian Nastase, lui-même collectionneur, que nous avons obtenu un espace dans le palais du Parlement. Les hommes politiques n’ont jamais inscrit le musée parmi leurs priorités, et je n’oserais dire que la Roumanie a une véritable politique culturelle, néanmoins ils ont financé le projet. »

Controverse
Le musée n’occupe que 4 % du gigantesque bâtiment. Rompant brutalement avec une façade surchargée, l’aménagement intérieur du palais offre une suite de salles d’un blanc austère réparties sur quatre étages. « Le secteur du palais attribué au musée n’était pas encore achevé, si bien que nous avons terminé de l’aménager en nous débarrassant de sa décoration, pour rendre l’espace aussi neutre que possible », explique Mihai Oroveanu.
Le directeur du musée entend employer les lieux à la promotion de jeunes artistes roumains, ainsi qu’à l’accueil d’expositions itinérantes venues de musées étrangers. Le programme inaugural comprend une présentation d’artistes roumains ayant travaillé sur le thème même du Palais, « Caméra », une exposition de vidéastes chinois conçue par Hans Ulrich Obrist, en provenance du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et « Stock zéro » une exposition conçue par Nicolas Bourriaud, codirecteur du Palais de Tokyo à Paris, comprenant des œuvres ou des installations d’artistes comme le Sud-Africain Kendell Geers ou les Français Bertrand Lavier et Franck Scurti. Ces deux dernières manifestations sont soutenues par l’ambassade de France à Bucarest. Le conseil scientifique du musée témoigne aussi de l’engagement de la France : y figurent Nicolas Bourriaud et
Catherine Millet, directrice de la rédaction d’Art press, qui a déjà eu l’occasion de collaborer avec Ruxandra Balaci, commissaire de l’exposition inaugurale.
Mihai Oroveanu est sans illusions sur les difficultés rencontrées par le nouveau musée : « L’installation du musée d’art contemporain dans les murs du palais du Peuple prête à controverse, et j’en suis très conscient. Mais dans la grave situation économique où se trouve la Roumanie, il était impossible de construire un musée neuf, nous aurions été obligés d’attendre au moins vingt ans. » Pour Catherine Millet, cette intégration symbolise un pas en avant. À l’inverse, Dan Perjovschi, un artiste travaillant à Bucarest, compte parmi les adversaires les plus sévères du nouveau musée. « J’appartiens à une génération idéologique. Nous avons survécu au système, mais je ne puis oublier qu’un quart de Bucarest a été rasé pour édifier ce palais. C’est l’icône du délire le plus hideux d’un dictateur que nous avons haï. Pour moi, il est déjà suffisamment grave qu’on ait accepté ce palais comme emblème politique d’aujourd’hui. Cela ressemble à une mauvaise farce, l’art est à nouveau utilisé à des fins de propagande. L’initiative la plus appropriée aurait été d’ouvrir un musée historique pour exposer le bric-à-brac fumeux de Ceausescu. »
Intitulée « Les artistes roumains, et d’autres, aiment le palais Ceausescu ? ! », l’exposition inaugurale, dont l’édifice controversé est le thème central à travers des œuvres d’artistes roumains, s’ouvre sur des portraits de Ceausescu choisis parmi les 2 400 représentations du défunt dictateur que comptent les collections du musée.

Musée national d’art contemporain de roumanie

Palais du Parlement, Bucarest, Roumanie, tél. 40 21 313 9115, www.mnac.ro, du mercredi au dimanche, 10h-18h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : L’art contemporain emménage chez Ceausescu

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