Dresde

La reconstruction de la Frauenkirche

Les Anglais vont-ils participer au financement ?

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 691 mots

La Frauenkirche de Dresde, bombardée il y a presque cinquante ans par les forces britanniques et américaines, va être reconstruite. On commence ce mois-ci des travaux controversés, qui doivent redonner vie à l’une des plus belles églises baroques d’Europe. L’entreprise durera au moins dix ans et les coûts sont évalués à 850 millions de francs.

LONDRES - La première pierre de la nouvelle Frauenkirche aura été posée le 27 mai, 251e anniversaire de sa consécration initiale. Surnommée "la Cloche de pierre", à cause de son immense coupole, l’église, dessinée par Georg Behr et bâtie entre 1726 et 1743, a dominé le centre historique de Dresde jusqu’aux derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale. Après sa destruction, il fut décidé de la laisser en ruines : le monceau de décombres, mémorial du bombardement qui avait rasé la ville, constituait une étape obligatoire des visites guidées de Dresde.

Le mois dernier, on a achevé de déblayer les débris. On y a fait quelques découvertes saisissantes, en particulier la croix dorée qui couronnait le dôme, haut de 100 mètres, de la Frauenkirche. Partiellement fondue à la suite du bombardement, c’est un témoignage bouleversant de la destruction de la ville. La croix sera sans doute conservée à l’intérieur de l’église, dans un reliquaire, une réplique étant placée au sommet de la coupole reconstruite. On a également retrouvé les vestiges déformés d’une des horloges de la flèche, et des fragments de l’orgue Silbermann sur lequel Bach a joué. Mais les traces de périodes plus récentes ont aussi été mises au jour : on a ainsi trouvé un stock de films de propagande nazie entreposés dans la crypte au cours des années 30.

Ce fut dans la nuit du 13 février 1945 que des bombardiers britanniques et américains pilonnèrent le centre de Dresde, tuant au moins 100 000 personnes. Malgré les coups reçus de plein fouet, la Frauenkirche avait résisté, mais le feu se propagea rapidement à l’intérieur de l’église : deux jours plus tard, elle s’écroulait. La coupole en pierre de 12 000 tonnes, dont les dimensions n’étaient surpassées que par celle de Saint-Pierre de Rome et par le Duomo de Florence, s’effondra.

La reconstruction de "la Cloche de pierre" ne fait pas l’unanimité. Certains Allemands considèrent que les ruines devraient continuer à jouer leur rôle commémoratif ; d’autres estiment qu’il serait plus utile de dépenser cet argent à construire des logements ou des hôpitaux. Mais, depuis la réunification, l’idée de voir la Frauenkirche renaître de ses cendres suscite un enthousiasme croissant.

Une contribution financière des Anglais ?
On s’efforce également d’obtenir le soutien de l’ancien ennemi : la Grande-Bretagne. Le Dresden Trust, établi dans le Sussex, espère rassembler au moins 100 000 livres (860 000 francs), qui seront probablement consacrés à une certaine partie de l’église, par exemple des fenêtres. "Nous sollicitons les dons du peuple britannique, et accueillerions également avec joie une contribution du gouvernement", déclare le Dr Alan Russell, président du Dresden Trust. Le bombardement de Dresde demeure au Royaume-Uni un sujet de dissension : nombreux sont ceux qui le justifient pour des raisons liées à la conduite de la guerre, alors que d’autres y voient un acte de barbarie condamnable. Jusqu’à présent, les représentants des milieux dirigeants ont généralement soutenu le raid, position symbolisée par la décision de la reine-mère de dévoiler un monument à Sir Arthur Harris, dit "le Bombardier", responsable de la tactique de bombardements à saturation de l’Allemagne nazie. La reine elle-même s’est trouvée mêlée à cette polémique lors de sa visite à Dresde, en octobre 1992. Commettant, selon l’avis général, une gaffe diplomatique de taille, elle est passée en voiture devant les ruines calcinées de la Frauenkirche sans même s’arrêter un instant pour rendre hommage à ceux qui étaient morts sous les bombes britanniques.

À en croire certains indices, l’attitude du Royaume-Uni est en train de changer radicalement. D’après des informations reçues par The Art Newspaper, le ministère des Affaires étrangères étudie une proposition de soutien à la reconstruction de la Frauenkirche ; une contribution financière est à l’étude. On en saura certainement plus avant les cérémonies de février prochain, qui marqueront le cinquantième anniversaire du bombardement de Dresde.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : La reconstruction de la Frauenkirche

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