Sienne

La Maestà enfin restaurée

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 863 mots

Les 8 et 9 avril, après un dernier ajournement, le public pourra enfin admirer la restauration de la Maestà de Simone Martini, ce qui mettra un terme à une histoire mouvementée.

SIENNE - Depuis quelques années déjà, on parlait d’une présentation imminente, mais elle était régulièrement différée pour des raisons techniques. Il s’agissait _ explique aujourd’hui Bruno Santi, devenu entre-temps surintendant aux Biens culturels de Sienne _ de controverses au sein même du comité technico-scientifique. Les avis divergents et contradictoires portaient sur les méthodes à adopter pour consolider la grande fresque. Le problème était particulièrement délicat en raison des inclusions de matières différentes que comporte l’œuvre : petits verres colorés sur fond d’argent, collages de papier, encre (sur le personnage de l’Enfant Jésus), parties émaillées, impressions, etc. Il fallait s’entendre sur la procédure à retenir pour traiter d’une part ces parties hétérogènes et d’autre part certaines zones qui avaient perdu leurs couleurs. Étant donné la variété et le raffinement des détails et des finitions, on a été obligé de travailler comme s’il s’agissait d’une grande miniature, aux dimensions de l’immense mur de la salle de la Mappemonde, dans le Palazzo pubblico. Il y eut un grand débat d’experts sur l’opportunité d’uti-liser l’hydroxyde de baryum. Certains y étaient résolument favorables, d’autres radicalement hostiles en raison de l’irréversibilité du traitement.

La précieuse fresque de Simone Martini, terminée en 1315, a été la source continuelle de problèmes de restauration. L’auteur dut reprendre lui-même son œuvre 6 ans à peine après son achèvement. Mais c’est au XVe siècle surtout que l’humidité fit les plus grands ravages. Vers 1625, certaines inscriptions étaient devenues illisibles. Au XIXe siècle, Francesco Brogli dut consolider d’urgence l’enduit de support, comme en témoignent les documents de l’époque. Jusqu’au début de notre siècle, on resta convaincu que le mauvais état de la paroi était dû uniquement à l’effet corrosif du chlorure de sodium remontant par capillarité à travers le mur des anciens greniers à sel. On fit alors de multiples tentatives d’assainissement sans obtenir de résultat probant, voire en aggravant l’état des choses.

Dans les années 70, grâce à des instruments de recherche plus précis et plus efficaces, on est enfin parvenu à formuler un diagnostic exact : les causes de la détérioration étaient à rechercher dans la fragilité du mur supportant la fresque, mur à l’intérieur duquel passaient un conduit de fumée et plusieurs descentes d’eau, dont une gouttière du toit. Ce mur est situé entre la salle de la Mappemonde et un couloir, et la diffusion continuelle de sels d’une paroi à l’autre entraînait leur concentration du côté peint à fresque.

Il fallait donc, d’une part, nettoyer la surface picturale des substances étrangères accumulées, en particulier de la paraffine, et en chasser la majeure partie des sels par l’application de compresses de silice ; d’autre part, mettre au point un système de contrôle climatique des deux vides situés de part et d’autre du mur de la Maestà, afin de détourner la diffusion des sels vers la paroi du corridor. Selon les prévisions de Giuseppe Gavazzi, qui a conduit la restauration, le système mis au point devrait être définitivement efficace et résoudre ainsi les problèmes séculaires qui ont affecté la fresque.

Une nouvelle lecture
Au-delà des questions techniques, le nettoyage a fait réapparaître une surface picturale vivante et plus précieuse, qui rappelle toute la culture raffinée des miniaturistes et des orfèvres, en particulier l’utilisation d’émaux translucides qui, selon certains spécialistes, furent également utilisés à Assise grâce à quelques maîtres-artisans venus du Nord. Sur le registre inférieur de la fresque, des représentations d’une grande élégance et d’une grande liberté sont redevenues lisibles : fleurs de chardon du cadre, tondi de Saint Jérôme et de Saint Grégoire, qui dénotent un sens du volume et créent une illusion d’espace dignes de la basilique inférieure d’Assise, où Simone avait travaillé et où il avait eu l’occasion de voir les fresques de Giotto. L’intervention a permis de préciser aussi la durée même de l’exécution, réalisée en deux étapes.

Un colloque est prévu pour l’inauguration, avec la participation de spécialistes italiens et étrangers qui feront le point sur toutes les connaissances acquises au cours de la restauration et sur les problèmes historiques et artistiques que pose cette œuvre complexe.
Outre la documentation photographique de la Pan Art et de F. Lensini, nous aurons, une fois les travaux terminés, un témoignage original, celui du peintre Cesare Oltromastroni : depuis les échafaudages, il a reproduit la fresque avec tous ses détails décoratifs, ses matériaux et ses couleurs.

L’intervention de restauration a été rendue possible grâce aux financements conjugués du ministère des Biens culturels (loi 449), de la Commune de Sienne et du Monte dei Paschi. Pour la direction des travaux, Alessandro Bagnoli a été assisté par un comité consultatif composé d’U. Baldini, G. Basile, G. Bonsanti, A. Cornice, M. Forlani Conti et P. Torriti, auxquels est venu se joindre le nouveau surintendant Bruno Santi. Les restaurations ont été réalisées par G. Cabras, G. Gavazzi, A. Lepri et A. Lombardini, avec la participation de la firme Syremont pour les problèmes chimiques et d’environnement. Donatella Capresi, du Monte dei Paschi de Sienne, et M. Civai, du Musée Municipal, ont assuré la coordination de l’entreprise.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : La Maestà enfin restaurée

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