Belgique - Musée

La belle santé de l’Hôpital Saint-Jean

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 janvier 2024 - 1224 mots

BRUGES / BELGIQUE

Ce monument brugeois du XIIe siècle abrite une collection peu commune d’œuvres d’art et d’objets, rassemblée par les congrégations de soignants. Entre élévation de l’âme et guérison des corps.

Inclassable. Comment qualifier autrement un lieu aussi atypique que l’Hôpital Saint-Jean, à Bruges ? Connaissez-vous d’autres musées où, à peine passé le porche, on vous propose de prendre vos constantes vitales , où l’on vous permet de jouer au docteur tout en admirant des peintures inestimables ? On le sait, les Belges sont très friands de ces endroits détonants, mêlant érudition et pas de côté. Les derniers grands chantiers en date jouent tous cette carte de l’originalité, et la refonte de ce musée d’art et d’histoire unique en son genre s’inscrit logiquement dans cette philosophie. Il faut dire que ce site à l’ADN singulier autorise, voire appelle, un parcours loin des sentiers battus.

jardin de simples

Inauguré en 1839 – ce qui en fait l’un des premiers musées de la Belgique moderne – l’établissement conserve des collections aussi riches qu’hétérogènes reflétant sa longue histoire. Comme son nom le laisse deviner, il prend en effet ses quartiers dans un édifice à vocation hospitalière. Mais attention, pas n’importe lequel – l’un des plus anciens d’Europe. Cet immense vaisseau de briques a été fondé au XIIe siècle sur l’une des artères principales de la Venise du Nord, le « boulevard » où défilaient les nombreux pèlerins, commerçants et indigents qui pénétraient dans la cité. Éreintés par le voyage, les blessures et les épidémies qu’ils avaient pu rencontrer lors de leur périple, ils trouvaient dans cette charitable institution les soins dont ils avaient besoin, où simplement un peu d’hospitalité. Bien que le site ait été progressivement transformé, les équipements patrimoniaux ont été préservés et témoignent encore du fonctionnement de cette maison de bienfaisance, dotée d’un jardin de simples, d’une brasserie, d’une boulangerie, et bien sûr d’une apothicairerie. Lovée dans l’ancien monastère où vivaient les moines puis les sœurs qui prodiguaient les soins, cette pharmacie a gardé presque intacte son apparence du XVIIe siècle.Au mitan du XIXe siècle, les progrès de la médecine rendent anachroniques les installations du site. Pour mieux accueillir et traiter les patients, on aménage alors de nouveaux bâtiments à côté de ceux du Moyen Âge. Pendant plus de cent ans, les deux constructions cohabitent, jusqu’à ce que le nouvel hôpital déménage en périphérie de Bruges. Ce départ permet de repenser l’organisation du site, de le restaurer et de déployer la collection patiemment constituée par les religieux : quantité d’objets et d’œuvres d’art, dont ­certains depuis leur création ! En effet, le musée ­originel se concentrait dans un espace réduit : la chambre de la mère supérieure ... Dans la panoplie des soins prodigués au corps et à l’âme, l’art occupait pour les religieuses une place centrale. C’est pourquoi elles ont très tôt commandité des œuvres dont la beauté devait apporter du réconfort aux malades, afin d’affronter la douleur ou se préparer au trépas. Elles avaient aussi vocation à inspirer les infirmières, renforcer leur piété en prenant exemple sur le destin des saints et martyrs mais aussi, tout simplement, à décorer leur cadre de vie et de travail. Outre les innombrables crucifix, l’hôpital a ainsi accumulé un véritable trésor constitué de retables, tableaux, sculptures et objets de dévotion, réalisés par des anonymes ou des célébrités.

peinture flamande

Les religieuses avaient en effet un goût sûr, comme en témoigne le fleuron du musée : les trois retables commandés à Hans Memling au XVe siècle. Ainsi que la spectaculaire Châsse de Sainte-Ursule, considérée comme le chef-d’œuvre du génial primitif flamand. L’importance de ce fonds, enrichi par le dépôt, en 1815, de deux portraits de patriciens brugeois, est tel qu’il vaut rapidement au lieu le titre officieux de Musée Memling ! Et jusqu’à présent, nombreux étaient les visiteurs qui ne venaient que pour admirer ces icônes et prenaient peu de temps pour découvrir le reste de la collection. Il faut dire que son caractère disparate n’aidait pas à en saisir l’importance. Ni sa présentation, qui laissait un peu à désirer.La feuille de route de la refonte était donc plurielle : offrir un parcours plus lisible, problématisé, et accessible à tous. Objectif atteint avec cette visite rythmé, tirant intelligemment parti des dispositifs multimédias, et s’appuyant sur un accrochage riche en surprises qui déroule comme fil rouge la notion de soin à travers les âges. Un parti pris qui permet de valoriser le patrimoine architectural, et d’exploiter l’atmosphère de ce monument par le dialogue inattendu d’œuvres d’art et d’objets historiques, tantôt poétiques tantôt triviaux.

musée hans memling

L’Hôpital peut se targuer de conserver la plus vaste collection de Memling au monde, après le Metropolitan Museum. Outre les trois triptyques et la fameuse châsse, Saint-Jean possède en effet trois portraits, dont l’un récemment offert par le philanthrope américain J. William Middendorf. Le retour de l’effigie de l’ambassadeur espagnol ­Francisco de Rojas dans la ville où elle a été peinte a été l’occasion idéale de repenser la présentation du fonds Memling. À l’exception de la châsse installée dans l’église, les tableaux ont été rassemblés dans une salle vitrée conçue comme un musée dans le musée. Éclairage, accrochage : tout a été pensé pour accentuer la préciosité de ces icônes et offrir au public des conditions idéales pour les admirer. Les visiteurs peuvent approfondir la découverte grâce à une borne numérique. Ce dispositif compile les campagnes d’imagerie menées par ces experts des primitifs flamands et les résultats de leurs dernières études.

 

Museum Sint-Janshospitaal,

Mariastraat 38, Bruges (Belgique).

en attendant la crucifixion

Avant d’être installée dans une alcôve feutrée du musée, la statue a longtemps orné le cimetière Saint-Jean. Cette représentation du Christ abandonné, attendant sur une pierre que ses bourreaux dressent sa croix, était très populaire à la Renaissance. Ce motif avait été importé par les pèlerins de retour de Terre Sainte, où l’on vénérait la fameuse « pierre froide » sur laquelle Jésus aurait attendu, résigné, son supplice.


ange déchu 

À l’occasion de la refonte du musée, plusieurs œuvres contemporaines y ont fait leur entrée. À commencer par cette sculpture de l’incontournable artiste flamande Berlinde De Bruyckere, passionnée par la fragilité des corps et les rituels de deuil. Pour l’église, elle a imaginé un archange déchu grandeur nature, gisant sur un piédestal évoquant un tombeau. L’idée de cette pièce forte a germé dans l’esprit de l’artiste lors de la pandémie de Covid-19, comme un monument en hommage aux soignants.


divin berceau 

À mi-chemin entre l’œuvre d’art et l’objet ethnographique, cette pièce du XVe siècle semble aujourd’hui bien mystérieuse. Ces berceaux étaient pourtant très courants dans les monastères de femmes et les béguinages, où ils étaient utilisés par les religieuses pour leur dévotion privée. Lors des fêtes de Noël, elles balançaient délicatement le berceau sur lequel reposait une statuette de l’enfant Jésus en argent. Cet objet exceptionnellement bien conservé est un témoignage précieux de la foi médiévale.


miniatures à la loupe 

Tout est exceptionnel dans cette œuvre ! Son historique, son état, sa qualité d’exécution, sans oublier le fait que cette châsse est toujours conservée à l’endroit pour lequel elle a été réalisée, en 1489. Ce somptueux reliquaire est à juste titre considéré comme le chef-d’œuvre de Memling. Le primitif flamand fait ici une démonstration de son talent de miniaturiste avec des motifs d’une finesse incroyable. Une précision telle qu’il faut une loupe pour apprécier pleinement certains détails.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°772 du 1 février 2024, avec le titre suivant : La belle santé de l’Hôpital Saint-Jean

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