Hong Kong amnésique ?

L’ancienne colonie peine à protéger son patrimoine

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 764 mots

Ayant le sentiment de vivre sur du temps emprunté, Hong Kong n’a jamais respecté son passé. On ne compte plus les bâtiments anciens rasés sans autre forme de procès pour faire place à des ensembles immobiliers dénués de caractère. Malgré la faiblesse des protections légales et la course au profit, la nécessaire préservation du patrimoine commence à gagner du terrain.

HONG KONG (de notre correspondant) - C’est une scène familière aux téléspectateurs de Hong Kong : des villageois en colère défiant des policiers armés. En l’occurrence, une centaine d’habitants de Nga Tsin Wai, un village délabré des “nouveaux territoires” entouré de bidonvilles sans cesse plus étendus, protestaient contre la démolition de leurs maisons, à la place desquelles doit s’élever un ensemble immobilier. S’ils ont perdu cette bataille, ils ont néanmoins réussi à ouvrir un débat patrimonial sur un territoire où le pouvoir manie facilement le bulldozer, une controverse largement relayée par la presse.

Alors que les espaces verts de la ville sont protégés par une réglementation rigoureuse, les monuments ne le sont pas. Plus de 40 % des territoires de Hong Kong sont constitués de parcs où des lois sévères régissent les constructions, mais la nécessité de conserver le patrimoine urbain n’est apparue que très récemment. Avant l’adoption de l’Antiquities and Monuments Ordonance de 1979, aucune protection n’existait ; depuis, seuls soixante-six monuments ont été protégés. Cinq cents autres ont été “classés”, concept correspondant au “listed” anglais mais qui ne leur accorde pas la protection que cette catégorie implique en Grande-Bretagne. Le conseil municipal d’urbanisme est seulement tenu de “prendre en considération” les classements quand sont présentées des demandes de permis de construire. Il arrive même que l’environnement des monuments protégés soit saccagé, comme par exemple celui de la Mission française, devenue aujourd’hui la Court of Final Appeal, dont la vue a été bouchée par le nouveau Cheung Kong Center.

Attitude compréhensible pour un lieu qui avait l’impression de vivre sur du temps emprunté, Hong Kong n’a jamais respecté son passé. D’anciennes photographies et certains restes de l’époque coloniale rappellent que le charme et la beauté de son architecture égalaient la splendeur du site naturel. Le vieil Hongkong Club, à la grandiloquence victorienne de style Harrods, a été détruit en 1985 pour faire place à un bloc de béton sans attrait mais à la rentabilité maximale. L’hôtel Hilton, construction moderniste rénovée pour plusieurs centaines de millions de dollars, a été rasé neuf mois plus tard pour être remplacé par une tour de bureaux.

Les projets privés ont parfois donné naissance à d’intéressantes créations architecturales contemporaines, telle la Hongkong Bank, chef-d’œuvre de Norman Foster, qui se dresse sur l’emplacement de l’ancien siège de 1930. Mais la politique d’urbanisme actuelle du gouvernement est indéfendable, comme le démontre le cas du Centre culturel : l’ancien et charmant terminus de la gare de chemin de fer Kowloon-Canton a été démoli pour faire place à une structure éléphantesque recouverte d’un carrelage de salle de bains. Alors qu’elle donne sur le plus beau port du monde, elle n’a aucune fenêtre !

La pression de l’opinion
Le saccage continue : d’anciens restaurants sur rue ont été relégués dans les étages supérieurs d’abattoirs en béton ou de marchés. Par ailleurs, ont été construits une nouvelle bibliothèque ainsi qu’un prétentieux (et politiquement correct) Musée d’histoire, qui a dû quitter l’ancienne caserne d’époque édouardienne. En raison de la forte immigration – près de 100 000 personnes par an –, le gouvernement a dû se résoudre à la construction de grands ensembles immobiliers sur les terres agricoles restantes. Une prise de conscience croissante de l’identité locale et la concurrence stimulante de Singapour et Shanghai, les rivales de toujours, ont cependant conduit à quelques actions encourageantes. En décembre, une communauté d’artistes d’Oil Street, qui occupait un entrepôt du département des Services urbains, a obtenu du gouvernement un ancien hangar à bétail pour un loyer symbolique. La pression de l’opinion a abouti à la conservation du premier ensemble d’habitations publiques de Hong Kong à Shek Kip Mei (1953) et à sa transformation en musée des styles de vie locaux. Surtout, le gouvernement a renoncé à détruire une construction discrète et sans qualité particulière, connue sous le triste nom de prison Victoria, et a annoncé sa reconversion en hôtel et centre commercial. Quant au transfert de souveraineté, il concerne surtout quelques bâtiments historiques situés sur des bases militaires britanniques, aujourd’hui sous le contrôle de l’Armée de libération du peuple (ALP). “L’attitude de l’ALP est la suivante : pourquoi s’encombrer de ces vieilles constructions ? Nous en avons des milliers en Chine”, explique un représentant du gouvernement de Hong Kong.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Hong Kong amnésique ?

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