Londres

Home House cherche un locataire

Le National Trust est sur les rangs. Les Japonais aussi

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 1143 mots

Home House, la plus belle des demeures urbaines londoniennes construites par l’architecte Robert Adam à la fin du XVIIIe siècle, a longtemps abrité l’impressionnante collection du mécène Samuel Courtauld, qui y avait créé l’institut qui porte son nom. Depuis cinq ans, Home House est vide et cherche maintenant un locataire.

LONDRES - À 200 mètres au nord d’Oxford Street, au numéro 20 de Portman Square, Home House est l’une des plus magnifiques demeures urbaines de Londres, que l’architecte Robert Adam construisit en 1776, pour Elizabeth, l’excentrique comtesse de Home (prononcez "Hume"), née à la Jamaïque et héritière d’un riche marchand. Outre ses peintures murales et ses plafonds, œuvres d’Angelica Kauffmann et de son mari Antonio Zucchi, la demeure s’enorgueillissait d’un superbe escalier circulaire, que surplombaient une rotonde et son dôme. Aucune de ses pièces principales n’était rectangulaire, et toutes avaient des murs aux lignes incurvées que venaient briser des niches et des colonnes. À la mort de la comtesse, le bâtiment abrita l’ambassade de France pendant six ans, jusqu’en 1794.

C’est en 1927 que Samuel Courtauld, magnat du textile, mécène et collectionneur, loua Home House et commença à y installer sa fabuleuse collection de peintres français impressionnistes et postimpressionnistes. Des photographies d’époque témoignent de la façon dont Courtauld aménagea la demeure. Dans le salon donnant sur rue, La Seine à Asnières de Renoir surplombait la cheminée, flanquée par L’Homme à la pipe de Cézanne et par la Jeune Femme se poudrant de Seurat.

D’autres toiles, de Bonnard, Boudin, Daumier, Degas, Gauguin, Manet, Modigliani, Monet, Picasso, Pissarro, Signac, Sisley, Toulouse-Lautrec et Van Gogh étaient disséminées dans toute la maison. Après la mort de sa femme en 1931, Courtauld offrit la jouissance de Home House à l’Institut d’art de l’université de Londres, institut auquel il donna d’ailleurs son nom. Mais depuis le transfert de l’Institut Courtauld à Somerset House (un magnifique palais bordant le Strand et la Tamise), en 1989, Home House est fermée et ses portes sont soigneusement gardées, à un prix que l’on estime à 100 000 livres par an (environ 800 000 francs).

Le groupe Portman, descendant de la riche famille aristocratique Portman, à qui appartient Home House ainsi que 50 hectares dans le West End estimés à 250 millions de livres (environ 2 milliards de francs), redouble à présent d’efforts pour trouver un locataire.

Un espace culturel
Le National Trust s’est immédiatement mis sur les rangs. Pour la première fois de son histoire, la société pour la conservation des sites et monuments est prête à accepter comme partenaire une compagnie privée, afin de faire de Home House un espace culturel. Le projet consisterait à l’ouvrir au public pendant la journée et à y accueillir des réceptions le soir. Une grande compagnie japonaise négocie, elle aussi, pour obtenir le bail de Home House, évoquant la possibilité d’en faire un centre destiné aux hommes d’affaires d’Extrême-Orient de passage à Londres. Selon d’autres rumeurs, un casino pourrait s’ouvrir dans ce bijou d’architecture du XVIIIe siècle.

Ces différentes propositions ont déclenché une violente controverse en Angleterre. En juillet dernier, le groupe Portman a fait passer une annonce dans la presse accompagnée d’une photographie de la demeure avec cette question : "Robert Adam aurait-il pu concevoir cet endroit pour votre entreprise ?" Le groupe affichait ainsi son désir de trouver un locataire commercial pour Home House. Le conseil municipal de la cité de Westminster a immédiatement souligné, en tant qu’autorité locale, que selon les normes d’urbanisme en vigueur, Home House, qui figure parmi les bâtiments londoniens les plus prestigieux, ne pouvait être utilisée qu’à des fins culturelles ou pédagogiques.

"Le groupe Portman a ouvert les hostilités", a déclaré Michael Crowndes, responsable des projets d’urbanisme du quartier. "Home House ne peut en aucun cas être destinée à des fins commerciales" Mais le groupe Portman passe outre cette mise en garde, et s’obstine à trouver un locataire commercial : "Il est temps que Home House cesse de n’être qu’un musée conservé dans la naphtaline et que la demeure devienne véritablement fonctionnelle", a expliqué le porte-parole du groupe, Charles Hatherell.

Le groupe refuse de révéler ce que sera le loyer annuel de Home House, arguant d’une part que le montant est négociable, et d’autre part que le nouveau locataire devra faire face à des réparations et aménagements pouvant s’élever à 5 millions de livres (environ 40 millions de francs). Dans un marché immo­bilier en pleine expansion, Home House une fois rénovée, pourrait rapporter jusqu’à 1 million de livres par an ; mais dans la conjoncture actuelle, la somme serait bien moindre. Toutefois, le bail comprendrait également la propriété adjacente, au 19 Portman Square, ainsi que deux maisons aménagées dans d’anciennes écuries.

De plus, en face de Home House, au numéro 21, l’Institut royal des Architectes britanniques a installé la galerie Heinz et sa collection de dessins ; mais l’Institut ayant récemment décidé de déménager ses installations, les locaux seront prochainement disponibles. Portman Square pourrait ainsi prendre un tout autre visage.

Qui sera donc le prochain locataire de Home House ? La proposition du National Trust reçoit pour le moment les faveurs du conseil municipal de la cité de Westminster. Il est vrai que le projet d’aménager Home House pour des réceptions le soir n’est guère conforme aux exigences culturelles et pédagogiques que Westminster met en avant ; le conseil, néanmoins, admet qu’il y a là matière à discussion, et s’avoue sensible au souci du National Trust d’ouvrir la demeure au public pendant la journée. L’autre facteur jouant en faveur du National Trust est, bien sûr, l’expérience incomparable que l’organisme possède en ce qui concerne la préservation des sites historiques.

Recréer les intérieurs
Le National Trust a d’ailleurs expliqué qu’il entendait recréer les intérieurs de Home House tels qu’ils étaient à la fin du XVIIIe siècle, en commandant pour cela des répliques de l’ameublement d’origine conçu par Robert Adam. Des dessins d’époque, conservés au Sloane Museum, serviraient de modèles. Un partenaire commercial (dont le National Trust préfère encore taire l’identité) serait prêt à fournir experts et capitaux pour mener à bien l’opération.

Ce projet s’inspire de la récente restauration de Spencer House, à l’initiative de Lord Rothschild : cette demeure du XVIIIe siècle, située en bordure de Green Park, dans le quartier St James, a été entièrement refaite en 1989 et est désormais ouverte au public le dimanche tout en étant fréquemment louée à divers usages le reste du temps.

L’une des pierres d’achoppement dans les pourparlers entre le groupe Portman et le National Trust concerne la durée du bail : le groupe propose un bail de 50 ans, mais le National Trust estime qu’en raison du coût élevé des travaux, seul un bail de 99 ans minimum rendrait le projet viable. Même s’il obtenait ce bail, cette entreprise de restauration resterait une aventure inhabituelle pour le National Trust qui, d’ordinaire, achète les propriétés "à perpétuité", ou les loue pour 999 ans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Home House cherche un locataire

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