Vienne

Grain de sel

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 754 mots

Après le retour de la salière de Cellini, polémiques en Autriche.

 VIENNE - La réalité dépasse parfois la fiction. Tel est le cas de l’affaire du vol de la salière de Cellini, dérobée au Kunsthistorisches Museum (KHM), à Vienne, dans la nuit du 10 au 11 mai 2003. Cet épisode continue à animer un vif débat public en Autriche et a provoqué des polémiques enflammées, même après que l’objet d’art a été retrouvé, le 20 janvier. Lors d’une conférence de presse donnée peu après sa découverte, deux ministres autrichiens rayonnants et le directeur du musée, Wilfried Seipel, ont posé devant les photographes en exhibant dans leurs mains nues le précieux objet. « Je me sens mal rien que d’y penser », a affirmé une restauratrice scandalisée par l’absence de port de gants. Si l’or est le seul métal qui ne se corrode pas au toucher, les autres matériaux qui composent le précieux objet sont très fragiles.
Mais cette absence de précautions n’est toutefois pas le seul reproche adressé à Wilfried Seipel et à la ministre autrichienne de la Culture, Elisabeth Gehrer. La question des systèmes d’alarme a fait l’objet d’âpres critiques, bien que le directeur du musée ait assuré que les dispositifs étaient « ultramodernes » : ni les échafaudages de la façade ouest, ni les fenêtres du musée n’étaient en effet protégés la nuit contre le vol. La vitrine où était conservée la salière ne disposait pas de vitre blindée : « Ce musée a les systèmes de sécurité d’une baraque à hot dogs sur le quai du Danube », a commenté le responsable à la culture des Verts, Wolfgang Zinggl, qui a demandé à cor et cri, avec les sociaux-démocrates, la démission de la ministre de la Culture et du directeur du KHM. Même l’auteur du forfait, Robert Mang, le « voleur gentleman » comme il a été surnommé à Vienne en raison de ses manières courtoises, de son aspect soigné et de ses origines bourgeoises, s’est moqué du KHM dans un entretien qu’il avait accordé en 2004 à une radio privée de la capitale en tant qu’expert de systèmes d’alarme. Il avait alors affirmé, entre autres, que le vol montrait moins « la stupidité du voleur » que celle « des responsables du musée ». Le voleur, qui a avoué son délit avant d’être immédiatement écroué, pourrait encourir une peine allant jusqu’à dix ans de prison pour vol et chantage aggravé. Le procès devrait s’ouvrir l’été prochain. Un autre procès lui a aussi été intenté par la société Uniqua, qui avait assuré la salière pour 25 millions d’euros. Elle exige maintenant un dédommagement pour les dépenses qu’elle a engagées pour tenter de résoudre l’affaire.

Systèmes de sécurité
Après un passage d’un mois entre les mains des restaurateurs en raison des éraflures sur la représentation de la Terre et des égratignures infligées par les éclats de verre provenant de la vitrine brisée, la salière est actuellement présentée au musée jusqu’au 5 juin, dans le cadre de l’exposition « Europe sans frontières. Exemples de l’unité artistique européenne », organisée dans le cadre du semestre de la présidence autrichienne de l’Union européenne. Vienne s’est depuis quelque temps laissé emporter par la vague « post-salière ». Le nom de Cellini a inspiré des glaciers, des restaurants… Sur Internet, le site eBay a même proposé une vente aux enchères de trois kilos de terreau prélevés sur le lieu où a été retrouvé l’objet d’art, en Basse-Autriche.
Enfin, après les critiques adressées par la Cour des comptes à la direction du musée, un directeur administratif a été nommé aux côtés de Wilfried Seipel, de plus en plus dans la ligne de mire de l’opposition et de la presse. Sur la lancée des critiques adressées au KHM, une enquête menée par l’agence de presse Austria Presse Agentur, en collaboration avec un expert dans le domaine, a révélé la situation inquiétante du point de vue de la sécurité non seulement du Kunsthistorisches Museum, cible facile pour les vandales et les voleurs, mais aussi d’autres musées autrichiens. La plus mauvaise note a été attribuée à l’Albertina de Vienne : malgré sa récente et totale rénovation, ses systèmes de sécurité, qui sont parfaits à l’extérieur du bâtiment, sont insuffisants à l’intérieur. Selon l’enquête, un voleur pourrait pénétrer au Belvédère « au pire en une minute », même s’il rencontrerait ensuite plus de difficultés à l’intérieur. Parmi l’ensemble des musées inspectés, seul le Musée d’art moderne-Fondation Ludwig (Mumok), à Vienne, bien surveillé et sûr, a obtenu de bonnes notes. Un résultat inquiétant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Grain de sel

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