Flux et reflux à Prague

Le directeur de la Galerie nationale reste controversé

Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 787 mots

Les médias tchèques n’ont jamais été très tendres avec Milan Knizak, l’artiste du groupe Fluxus qui fut directeur de l’Académie des beaux-arts de Prague, de 1990 à 1997. En sept ans, il a réussi, selon ses propres termes, à « transformer une école pleine de boue totalitaire en une structure vivante ». À présent, il espère réorganiser la Galerie nationale de Prague, dont il est depuis quelques mois le directeur général.

PRAGUE (de notre correspondant) - Même s’il est parfois chahuté par la presse, Milan Knizak a pour lui d’avoir  suivi des études artistiques, alors que son prédécesseur à la direction générale de la Galerie nationale de Prague, Martin Zlatohlavek, avait une formation en théologie. “Si j’ai accepté ce poste, c’est avant tout parce que je m’intéresse à l’art, nous a-t-il déclaré. Par ailleurs, j’ai bénéficié et bénéficie toujours de mon expérience à la tête de l’Académie des beaux-arts de Prague. Il est nécessaire d’entreprendre la réorganisation de la Galerie nationale, une institution toujours socialiste, et c’est dommage”. Il nourrit l’audacieux projet de rassembler les sept institutions indépendantes qui la constituent afin qu’elles développent leurs échanges et travaillent ensemble. Plutôt que de présenter l’art des XIXe et XXe siècles dans deux espaces distincts, situés chacun à une extrémité de la ville, il envisage de les réunir dans le palais Veletrzni, un immeuble fonctionnaliste  des années vingt qui accueille déjà, depuis 1995, la collection du XXe siècle. L’attention sera portée sur les grands noms de l’art moderne tchèque, en particulier Frantisek Kupka. Milan Knizak a d’ailleurs réalisé, à l’automne dernier, sa première opération d’envergure en tant que directeur général, en rachetant vingt tableaux de Kupka qui avaient appartenu à la Galerie nationale de Prague jusqu’en 1997. Les œuvres avaient été restituées à la famille de l’industriel juif Jindrich Waldes, dont la collection avait été confisquée par les nazis en 1941. Lors de la conférence de presse qui a suivi l’acquisition, le fils de Jindrich Waldes a critiqué la timide politique de restitution de la Galerie nationale et souhaité que la propriété privée soit enfin respectée. “Je comprends que Jiri Waldes soit en colère contre la Galerie nationale et le ministère de la Culture, nous a déclaré Milan Knizak. Ils ont toujours promis qu’ils rendraient les œuvres et n’ont jamais tenu leur promesse. Les gens qui étaient là avant moi avaient pour habitude d’ignorer tous les problèmes”. En effet, le passé pèse lourd pour la Galerie nationale, qui doit son existence à deux régimes totalitaires : les nazis ont nationalisé et centralisé les collections existantes de maîtres anciens et modernes, puis les ont “enrichies” des biens publics et privés confisqués ; les communistes ont appliqué les mêmes procédés à partir de 1949, ajoutant au patrimoine du musée les propriétés et bâtiments saisis.

Même si Milan Knizak affirme que la question des restitutions a été réglée par la rétrocession de la collection Waldes, Leo Pavlat, directeur du Musée juif de Prague, estime pour sa part que la Galerie nationale a toujours en sa possession plusieurs œuvres en déshérence de provenance juive, saisies au Musée juif à la fin de l’occupation nazie, en 1945. Même si le Musée juif a lui aussi été créé par les nazis – qui prévoyaient d’en faire un “musée d’une race disparue” –, Pavlat veut récupérer ces œuvres, mais Knizak y oppose une fin de non recevoir : “Je ne peux pas rendre les œuvres car la Galerie nationale n’y est pas autorisée. C’est la loi. Si le Parlement légifère, je les rendrai. Je n’ai rien contre. Mais je dois défendre le musée. Un arrangement politique pourrait être très dangereux”, estime-t-il.

Le mois dernier, Milan Knizak a encore déchaîné les passions lorsqu’il a pris la décision d’expulser une librairie pour touristes des locaux du palais Kinsky, qui abrite la collection d’arts graphiques de la Galerie nationale de Prague. L’histoire n’aurait pas fait de vagues si la boutique n’avait porté le nom de “Franz Kafka” et si elle n’était située à l’endroit même où le père de l’écrivain, Herman, tenait une mercerie à l’époque austro-hongroise. Jouant sur la forte notoriété dont jouit le nom de Kafka à l’étranger, la propriétaire de la boutique, femme d’affaires tchèque fortunée et épouse d’un magnat des médias, a déclaré publiquement que cette décision était une offense à la mémoire de l’écrivain. Elle a accusé Milan Knizak d’antisémitisme et a demandé au ministre de la Culture d’intervenir au nom de “la culture pragoise non officielle”. Le grand rabbin de Prague et les principaux intellectuels de la ville ont signé une pétition sommant le directeur de la Galerie de revenir sur sa décision, mais ce dernier est resté inflexible : “Je devais le faire. Je devais défendre la Galerie nationale”, a-t-il simplement déclaré.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Flux et reflux à Prague

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