Fallait-il reprendre les fouilles sur le Forum romain ?

À l’approche du Jubilé, une importante campagne a été engagée sur les Forums de César, Trajan et Nerva

Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 1379 mots

Première de cette ampleur depuis l’époque fasciste, la campagne de fouilles actuellement menée sur le site des Forums impériaux a déjà permis d’étayer les connaissances sur les ensembles monumentaux qui s’y sont succédé, mais aussi sur les quartiers d’habitation antiques et médiévaux. Toutefois, l’intérêt de ce grand projet a suscité des interrogations, notamment chez les architectes qui craignent que la “cité des morts�? ne prenne le pas sur celle des vivants.

ROME (de notre correspondante) - La via dei Fori Imperiali semble en ce moment avoir été victime d’un tremblement de terre : à gauche, sous la colline du Capitole, comme à droite, devant l’hémicycle majestueux des marchés de Trajan, d’importantes fouilles sont en cours. En quatre mois seulement est apparu l’incroyable puzzle des carrelages des cuisines et des caves des maisons du “quartier alexandrin”. Malgré le caractère spectaculaire de ce chantier, beaucoup se sont interrogés sur son opportunité : ne risque-t-on pas de ne trouver que ce dont on connaissait déjà l’existence ? Pour l’archéologue Roberto Meneghini qui dirige les fouilles du Forum de Trajan, l’intérêt de cette opération ne fait aucun doute.

Pour plus de clarté, le lecteur pourra se référer aux deux zones actuellement concernées par la campagne archéologique : celle du Forum de Trajan (1 sur la carte) et celle, sur le versant opposé, des Forums de Jules César (2) et de Nerva (3).

Même le nostalgique le plus obstiné, affirme Roberto Meneghini, devra convenir qu’ici, entre 1926 et 1934, tout un quartier caractéristique de la Renaissance et du Baroque a été détruit à des fins purement commémoratives, et qu’une campagne hâtive de terrassement et de démolition a entraîné la perte de documents archéologiques majeurs. Un peu moins de la moitié de la zone archéologique des forums impériaux est restée enfouie ou, comme l’aile située le plus à l’ouest de la Basilique ulpienne (4), a été ensevelie sous une couche de béton armé. La campagne de fouilles lancée par la Surintendance de la ville, grâce aux fonds spéciaux accordés dans la perspective du Jubilé, entend redonner continuité et lisibilité à la topographie des Forums.

Du côté de Trajan
Le grand chantier archéologique sur le Forum de Trajan est réalisé par îlots. Le premier, ouvert le long de la ligne directrice partant de la Terrasse domitienne (6) et rejoignant la via dei Fori Imperiali (7), souhaite apporter une réponse convaincante à la question suivante : comment le grand Apollodore de Damas avait-il résolu le problème de la liaison entre le Forum d’Auguste et celui de Trajan ? En considérant les tronçons des colonnes en jaune antique retrouvés, on peut supposer qu’un imposant portique monumental pouvait clôturer le Forum côté sud avec une colonnade saillante. Selon toute vraisemblance, il ne s’agissait pas d’une paroi rectiligne mais de deux ailes transversales divergentes, placées de façon à ceinturer de manière ornementale une structure importante, probablement un arc de triomphe, un propylée ou un temple.

Une autre découverte de taille a été effectuée. Au niveau même du Forum, une statue acéphale et sans mains d’un guerrier dace en marbre blanc d’environ 1,80 m a été retrouvée. Le magnifique état de conservation du drapé fait tout le prix de cette trouvaille exemplaire. Le Dace semble plutôt avoir été victime d’un écroulement que du vandalisme des calcarari médiévaux. Avec cette œuvre se pose à nouveau le problème de l’emplacement de ces statues monumentales qui, selon l’interprétation actuelle, ornaient l’attique des portiques. Les fouilles démontrent que jusqu’au XIIe siècle, l’édifice du Forum était probablement bien conservé. C’est à cette époque qu’il a été rasé complètement au sol pour en extraire des matériaux de construction.

Du côté de César
À gauche de la via dei Fori Imperiali, en se dirigeant vers la piazza Venezia, deux chantiers ont été ouverts, sous la direction de l’archéologue Riccardo Santangeli Valenzani : l’un dans l’aire du Forum de César, l’autre, achevé en 1997, dans le Forum de Nerva. Le Forum de Jules César, le premier construit en 46 av. J.-C., a servi de modèle aux autres. La partie nord-ouest a été fouillée dans les années trente, dévoilant une partie de la place et des portiques latéraux, ainsi que tout le podium du temple de Vénus Genitrix sur lequel ont été relevées trois colonnes, surmontées d’un entablement fastueux, un remaniement de l’époque trajane ou domitienne. En effet, il restait bien peu d’éléments d’origine puisque le Forum avait fait l’objet de reconstructions notoires à l’époque de Trajan, à la fin du IIIe siècle avec Domitien, puis pendant l’Antiquité tardive. Les fouilles actuelles rendront visible plus de la moitié du Forum, en s’étendant jusque sous la via dei Fori Imperiali et en reliant entre elles toutes les parties fouillées ces quarante dernières années. Comme pour la zone de Trajan, les fouilles ont également commencé par les caves des maisons du quartier. Naturellement, la partie du pavement du Forum n’évoque qu’une des différentes populations qui se sont succédé dans le site antique, probablement dès l’époque républicaine. Grâce aux sources historiques, nous savons que la place monumentale a été construite par Jules César dans un quartier à forte densité de population, et que la douloureuse question des indemnisations à verser aux propriétaires des maisons destinées à la démolition avait échu à Cicéron. Un peu plus loin, au Forum de Nerva, les dernières fouilles ont permis de découvrir des maisons républicaines et protoimpériales pouvant correspondre au quartier détruit par l’incendie de Néron, en 64 ap. J.-C.

Une série superposée de maisons médiévales, dont certaines remontent à l’An Mil, ont par ailleurs été mises au jour. Cette pièce du puzzle manquait jusqu’à présent pour reconstituer la typologie de l’habitation romaine du Haut Moyen Âge. En revanche, en d’autres points de cette zone, la ville de la Renaissance a effacé les habitations précédentes. Ce sont les vestiges d’époque médiévale exhumés dans la zone du Forum de César, tout comme ceux trouvés dans les Forums d’Auguste, de Nerva et de Trajan, et auparavant réfutés par l’archéologie classique, qui offrent les plus grandes surprises. Des découvertes importantes ont eu lieu un peu partout, telle la maison carolingienne sur l’Argilète au centre du Forum de Nerva ou, dans la zone du Forum de Trajan, un atelier de potier avec un four, des dépôts d’argile, un bassin de décantation et de déchargement des fragments de céramique.

Tous les avis convergent sur une nécessité : que les fouilles des Forums impériaux rendent visibles et compréhensibles les niveaux témoins des scènes de vie de la ville au cours des différentes époques.

Les raisons des archéologues, les obsessions des architectes

Le chantier en cours sur les forums romains a ranimé un vieux débat sur la nécessité de créer un parc archéologique central et d’effacer toutes les réalisations du fascisme des années trente. Différentes opinions se sont exprimées lors d’un récent congrès organisé par la Terza Università di Roma, en collaboration avec le Palais des Expositions. Les architectes émettent trois objections principales : il est quasiment certain que bien peu d’informations nouvelles seront trouvées sous la couche de terre et de béton coulée après les démolitions et les terrassements effectués entre 1924 et 1934 ; il n’est pas nécessaire de supprimer la via dei Fori Imperiali, dont la “logique�? résidait dans une idée urbanistique vieille de deux cents ans et remontant bien avant l’époque du fascisme ; soixante ans après les interventions du fascisme, une bonne compatibilité s’est établie entre la vie de la ville moderne et le système de route-parc archéologique créé à l’époque. Enfin, la crainte essentielle exprimée par tous les opposants est de voir la grande aire archéologique se transformer, en l’absence d’un projet d’ensemble – dans lequel architectes, urbanistes et historiens de l’art doivent naturellement intervenir –, en une “cité des morts�? rivalisant avec celle des vivants. De leur côté, les archéologues sont convaincus que les fouilles de grande envergure ne peuvent être différées, car les raisons historiques et culturelles qui ont conduit au lancement de la campagne à l’époque fasciste militent aujourd’hui en faveur d’un élargissement du panorama des connaissances. Le projet se dessinera au fur et à mesure des découvertes faites durant les recherches, dont les limites sont provisoirement liées au maintien de l’axe de la via dei Fori Imperiali, conservée comme un viaduc ouvert sur les deux aires latérales. Quant aux “aires en bordure�?, un concours international est déjà prévu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Fallait-il reprendre les fouilles sur le Forum romain ?

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