A l’Est, du contemporain

Entretien avec Paul Maenz

Paul Maenz s’explique sur sa donation au musée de Weimar

Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 1259 mots

Weimar, capitale culturelle de l’Europe 1999, vient d’inaugurer son Neues Museum, le premier musée d’art contemporain international d’envergure de l’ex-Allemagne de l’Est. Installé dans le bâtiment du Landesmuseum, une grande bâtisse néo-Renaissance située à quelques minutes de la gare, le musée s’appuie sur la collection Paul Maenz, qui fut l’un des grands marchands d’art de Cologne et de Berlin. Aujourd’hui à la retraite, il a donné et vendu à l’institution quelque 700 œuvres de grands noms de l’avant-garde internationale réalisées depuis les années soixante. La collection du musée s’est également enrichie de nouvelles pièces d’artistes vivants : Sol LeWitt a exécuté une peinture murale géométrique en six parties pour le hall d’entrée ; Daniel Buren est intervenu dans l’escalier central pour le transformer en éblouissante œuvre d’art totale, et Robert Barry a « inscrit » une œuvre contextuelle dans le café du musée. L’ancien galeriste, qui reste très engagé sur la jeune scène artistique, a également conseillé le musée pour l’acquisition de plusieurs œuvres de la nouvelle génération de créateurs, parmi lesquels Pipilotti Rist, Sylvie Fleury et la Berlinoise Gunda Förster. Paul Maenz a accordé un entretien à notre correspondante à Berlin, quelques jours avant l’ouverture du Neues Museum au public.

Vous avez été pendant vingt ans l’un des plus grands marchands d’art de Cologne. Pourquoi avez-vous ouvert une galerie ?
Je suis un pur produit de l’après-guerre. Je suis né à un endroit, ma famille a ensuite déménagé, puis a été évacuée ailleurs. Je me suis ainsi retrouvé à faire mes études à Essen, où il y avait une grande école d’art. De là, je suis parti pour Francfort. Plus tard, pendant les années soixante, j’ai été directeur artistique pour une agence de publicité sur Madison Avenue, à New York. C’est là que j’ai rencontré des artistes tels que Sol LeWitt et Carl Andre. Ensuite, je suis revenu en Allemagne et j’ai travaillé à Francfort. À la fin des années soixante, j’ai décidé d’ouvrir cette galerie. En peu de temps, la Rhénanie est devenue un centre artistique prometteur. Je me suis donc installé à Cologne, où j’ai ouvert ma galerie en 1970. J’en ai assuré la direction pendant vingt ans et, en 1993, je suis parti pour Berlin.

On dit que vous êtes l’un des premiers grands marchands à avoir quitté Cologne pour Berlin.
Mon cas était différent : je n’avais plus de galerie et j’étais libre de mes mouvements. Lorsque la décision a été prise de faire de Berlin la capitale de l’Allemagne, j’ai aussitôt décidé de m’y installer. Je suis issu d’une génération qui n’a rien fait de mal mais qui a hérité du passé. Je pense que c’est ce qui a poussé mes contemporains à développer une sorte d’internationalité. Mais ce n’est qu’après la réunification et notre découverte de cette partie de l’Allemagne qui nous était autrefois étrangère que nous avons compris que cette culture présentait une sorte de “complétude”. À mon avis, cela explique pourquoi tant de personnes aujourd’hui âgées de 50 ou 60 ans essayent de tenter leur chance à Berlin ou dans les nouveaux États fédéraux. Il me semblait donc naturel de réaliser quelque chose à Weimar.

Auriez-vous pu donner votre collection ailleurs, à Berlin par exemple ?
Pour parler franchement, je n’ai jamais pensé à donner ma collection à qui que ce soit. Lorsque pour la première fois j’ai pu voyager dans cette partie de l’Allemagne qui m’était inconnue, je m’y suis senti chez moi. C’était comme si je retrouvais le pays de mon enfance. J’ai commencé mon voyage par une visite du camp de concentration de Buchenwald, tout proche de Weimar. Aussi, ma première rencontre avec le Weimar traditionnel m’a-t-elle laissé un sentiment très pénible. Là plus qu’ailleurs, je me suis interrogé sur ce concept d’identité nationale ou culturelle. Je suis quelqu’un de très pratique et j’aime construire. Mais là, que pouvais-je faire ? Je me suis dit que même si ma collection ne retraçait pas le siècle, j’avais malgré tout de belles œuvres qui couvraient trente années. Je ne m’étais jamais préoccupé de ce que renfermait ma collection ; je ne voyais que la poussière qui s’y était accumulée durant une longue carrière professionnelle dans l’art contemporain. J’ai réfléchi et j’ai fait une proposition.

Comment les événements se sont-ils enchaînés ?
Tout s’est passé très vite. Le directeur du musée, Rolf Bothe, et le maire de l’époque, Klaus Büttner, se sont montrés très intéressés et enthousiastes. Des circonstances favorables ont également accéléré les choses. La ville voulait depuis longtemps reconstruire le musée. La donation les a motivés, car le lieu retrouverait ainsi sa fonction d’origine. Autre fait opportun : Weimar a reçu le titre de capitale culturelle pour l’année 1999. Ainsi, non seulement la collection avait un toit, mais il existait également une date butoir. Le financement de l’État de Thuringe impliquait que le projet soit mené à bien dans l’année.

Selon quels critères avez-vous constitué votre collection ?
La collection reflète mes centres d’intérêt et rend hommage aux artistes avec lesquels j’ai travaillé, mais elle ne répond pas à une orientation particulière. Vue sous cet angle, c’est une collection très personnelle. Elle est aussi le résultat de divers concours de circonstances. Il faut savoir que dans les années soixante-dix, organiser une exposition d’art conceptuel ou même d’Arte Povera n’était pas précisément rentable. En fait, certaines des œuvres les plus remarquables sont aujourd’hui à Weimar car, à l’époque, nous n’avions pas trouvé de collectionneur intéressé. J’ai également eu la chance d’acheter des œuvres à des prix raisonnables et de pouvoir les garder jusqu’à ce que l’on prenne conscience de leur valeur, et que leur prix en tienne compte.

Comment vos centres d’intérêt transparaissent-ils au Neues Museum ?
La plupart des œuvres sont allemandes ou italiennes, même si la collection comporte de nombreuses pièces signées par des artistes américains – Sol LeWitt, Keith Haring – et d’art minimal. Les Italiens sont représentés notamment par Giulio Paolini, à qui une salle entière est consacrée. Ces œuvres cadrent parfaitement avec les relations intellectuelles qu’entretenait Weimar avec la culture italienne à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Par ailleurs, une salle réunit plusieurs œuvres d’Anselm Kiefer qui est, bien évidemment, un artiste très allemand.

Collectionnez-vous toujours des œuvres ?
Oui, mais plus de la même façon. Aujourd’hui, je dirais plutôt que je collectionne, plus que je ne “garde”.

Votre geste est-il un don, un prêt, ou une combinaison des deux ?
Pour un tiers des œuvres, il s’agit d’un don ; la deuxième partie a été achetée et, pour le reste, il s’agit d’un prêt permanent qui tient lieu de promesse de don. La vente a permis de créer une fondation à vocation pédagogique et éditoriale. Sa fonction première, vous pouvez l’imaginer, sera d’instruire. Je pense que c’est là la véritable mission d’un musée. Grâce à mes relations, je peux obtenir certaines choses plus vite et moins cher. Pour adjoindre de nouvelles œuvres à la collection – par exemple le hall d’entrée de LeWitt et la cage d’escalier de Buren –, il est utile de connaître les artistes et de les intéresser au projet.

Ces nouvelles œuvres ont-elle été spécialement réalisées pour le bâtiment?
Oui, et il semble qu’elles aient également un rapport avec Weimar. La sévérité de l’œuvre de LeWitt peut rappeler le constructivisme du Bauhaus, et ses couleurs sombres pourraient représenter la face triste de l’histoire – LeWitt est juif. Je ne voudrais pas tomber dans la symbolique, mais l’installation de Buren, avec ses rayures alternant matériaux polis et rugueux, pourrait évoquer les deux Allemagnes et leur interdépendance, ainsi que l’histoire contradictoire de Weimar.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Paul Maenz

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