Des Bourgeois en villégiature

Le bronze de Rodin fait l’objet d’une restauration à la Villa Médicis

Le Journal des Arts

Le 27 avril 2001 - 725 mots

À l’occasion de l’exposition « Rodin et l’Italie », le Monument des Bourgeois de Calais est venu de sa ville d’origine pour subir à Rome une indispensable restauration, une intervention qui se veut respectueuse des traces du temps, celui qu’il fait et celui qui passe.

ROME - Dissimulés derrière les haies du jardin, les Bourgeois de Calais coulent des jours paisibles à Rome. L’un d’entre eux a même été allongé après avoir été démonté. Installé sur une estrade, le monument est l’objet jusqu’en juillet d’une indispensable restauration, dirigée par Antoine Amarger. Plus que de son exposition aux intempéries et à l’air marin, l’exemplaire de Calais, le premier de la série, a souffert d’interventions pour le moins malheureuses. Jusqu’à une date récente, on n’a pas hésité à enduire régulièrement le bronze d’un film d’huile de vidange ! Résultat, une corrosion bigarrée avec d’un côté des zones vertes qui s’érodent, et de l’autre, des zones noires qui ont conservé la couleur d’origine, et sur lesquelles s’accumulent les dépôts atmosphériques. En d’autres temps, le métal aurait été mis à nu, et une nouvelle patine appliquée. Aujourd’hui, le parti de restauration se veut plus respectueux de l’œuvre et de son histoire, dont les traces doivent être conservées. Un nettoyage des surfaces permettra d’ôter le dépôt pulvérulent tout en préservant la couche de corrosion sous-jacente plus stable, avant que des retouches de couleur ne viennent atténuer le contraste entre les différentes zones. “Un bronze ancien, corrodé en vert clair, est souvent plus lisible qu’à l’origine avec la patine sombre classique. Pourquoi ne pas considérer dans ce cas le vieillissement comme un apport naturel ?”, avance le restaurateur dans le catalogue. Au-delà du choix déontologique, des telles décisions relèvent d’une affaire de goût, dont on a une parfaite illustration dans le jardin, à quelques pas des Bourgeois. Alors que la patine de l’Ugolin a été préservée, celle de l’Homme qui marche – installé à l’origine dans la cour du palais Farnèse à Rome – a été refaite lors de sa restauration en 1985. De même, le Jean d’Aire, l’une des figures extraites du groupe calaisien, présente le désagréable aspect du neuf.

Ces sculptures, célèbres entre toutes, sont au cœur de l’exposition, conçue par Antoinette Romain, conservatrice des sculptures au Musée Rodin, consacrée aux liens féconds entre Rodin et l’Italie. De l’antique à la Renaissance, comment les multiples visages de l’art italien ont-ils rencontré les préoccupations et les recherches du sculpteur français ? Déjà largement commentée par ailleurs, l’admiration pour Michel-Ange apparaît dans de passionnants collages de petites études, où l’on peut reconnaître des œuvres du divin Florentin, comme le Moïse. Toutefois, Rodin a trouvé chez un autre sculpteur toscan, Donatello, et notamment son Zuccone, des solutions expressives, aptes à transcrire les tourments des Bourgeois de Calais (Jean d’Aire et Eustache de Saint-Pierre). Quant à l’antique, l’autre héritage de l’Italie, il a nourri sa méditation sur le fragment, dont l’incomplétude accroît paradoxalement la puissance expressive de la sculpture.

La commande de la Porte de l’Enfer, en 1880, allait placer l’art de Rodin sous le signe de ce monument de la littérature italienne qu’est Dante. De ce chef-d’œuvre séminal devaient naître quelques-unes de ses sculptures les plus fameuses : Fugit Amor, Je suis belle, le Penseur, Ugolin, et bien sûr, le Baiser – inspiré de l’histoire de Paolo et Francesca –, intelligemment mises en scène sur les degrés de la rampe, dont l’ascension mène à un aspect plus secret du travail de Rodin sur la Divine Comédie. Alors que les sculptures sont plus ou moins affranchies de leur source littéraire, accédant ainsi à un niveau d’expression plus universel, les dessins, à l’instar des feuilles relatives au destin du comte Guidon que se dispute Satan et saint François, se réfèrent plus explicitement au texte. “Au bout d’un an, je me suis aperçu que ces dessins, s’ils rendaient ma vision de Dante, n’étaient pas assez proches de la réalité. Et j’ai tout recommencé d’après nature avec mes modèles. J’avais abandonné mes dessins d’après Dante”, devait expliquer plus tard l’artiste. Finalement, la leçon de l’Italie, qu’elle soit antique ou moderne, c’est celle-là, l’interrogation toujours renouvelée de la nature.

- À VOIR : RODIN ET L’ITALIE, jusqu’au 9 juillet, Académie de France à Rome, Villa Medici, 1 viale Trinità dei Monti, Rome, tél. 39 06 67 611, tlj sauf mardi 10h30-19h30. Catalogue, éd. De Luca, 200 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : Des Bourgeois en villégiature

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