Archéologie

De Berytus à Beyrouth

Le plus grand site au monde d’archéologie urbaine

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 729 mots

Le centre-ville de Beyrouth, théâtre des plus durs combats de la guerre civile libanaise, est aujourd’hui un immense chantier de reconstruction. Ces travaux ont permis de découvrir de nombreux vestiges dans ce qui est devenu, provisoirement, une vaste fouille de sauvetage en milieu urbain.

BEYROUTH - Après seize ans de guerre et la destruction presque totale du centre de Beyrouth, le gouvernement libanais a exproprié, en 1991, tous les propriétaires et constitué une société immobilière mixte à responsabilité limitée chargée de la reconstruction. La Solidere se trouve ainsi à la tête de cent vingt hectares à proximité immédiate du port. Aussitôt constitué, le comi­té de la Solidere a proposé de mener des fouilles archéologiques dans le cœur historique de la ville, à l’emplacement de la Berytus romaine.

Ces fouilles ont été décidées d’urgence, et un budget de plusieurs millions de dollars leur a été consacré, avec des fonds fournis conjointement par la Solidere, les Nations Unies, l’Unesco, la Fondation Hariri (du nom du milliardaire et mécène devenu Premier ministre), la direction générale des Antiquités (DGA) et divers organismes, comme la Fondation Khalili. Plusieurs équipes archéologiques ont été constituées : trois proviennent de l’université libanaise, trois de l’American University of Beirut, une de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (Ifapo, ancien Institut français d’archéologie de Beyrouth), deux de Hollande, une d’Italie et une d’Angleterre.

Quatorze projets ont été retenus et 20 000 mètres carrés ont déjà été fouillés. Ce sont les premières fouilles urbaines jamais réalisées au Liban. Dans le secteur des souks, à rebâtir en premier, cinq équipes ont travaillé dans une zone qui sera à l’avenir occupée par un parking souterrain. Elles ont dégagé un grand nombre de mosaïques des périodes byzantine et romaine, sous le niveau de fondation des arcades ottomanes.

Plus près du port, l’une des équipes de l’université libanaise, sous la direction de Leïla Badr, a mis au jour un puissant mur ottoman s’élevant au-dessus de deux remparts antérieurs, où l’on a trouvé des figurines des périodes perse et rhodienne. On a également dégagé des structures hellénistiques et romaines, un haut mur défensif, plusieurs habitations et un épais niveau de cendres contenant du matériel de l’âge du fer (Xe ou IXe siècle av. J.-C.).

La présence phénicienne est attestée pour la première fois à Beyrouth, avec de grandes quantités de tessons des VIIIe et VIIe siècles, des plats importés de Chypre et des jarres de terre cuite. Enfin, un bulldozer a endommagé, non loin de là, l’entrée d’un immense bâtiment apparemment daté de l’âge du bronze (IIIe millénaire avant J.-C.).

La fouille de l’Ifapo se situe au sud de ce secteur. Elle est conduite par Catherine Auber, qui explique : "Nous avons découvert les arcades et les fondations du petit sérail ottoman construit en 1883-1884 et détruit en 1944." Trois phases successives s’étendent au-dessous – byzantine, romaine et hellénistique –, ce qui n’est pas véritablement une surprise. Des éléments de mosaïques abbassides ont été découverts et démontés, au-dessus de couches archéologiques contenant du matériel perse et attique.

Plus au sud encore, entre la place des Canons et l’église Saint-Georges, une zone de 35 000 mètres carrés est destinée à devenir un "parc archéologique" non constructible. L’architecte-paysagiste Thierry Huau, chargé de redessiner le nouveau centre-ville, a l’intention de replanter tout le secteur pour y recréer les jardins de style Médicis du prince Fakhr el-Din qui s’y étendaient au XVIIe siècle. Les fouilles viennent d’y commencer et ont déjà mis au jour une file de colonnes romaines, une rue pavée et de nombreux tessons.

Derrière la place de l’Étoile, site du Parlement libanais, on a découvert une arche dont Philippe Marquis, représentant de l’Unesco, pense qu’il s’agit d’un élément du forum romain, datant du IIIe siècle. Selon le directeur de la DGA, Camille Asmar, un accord a été conclu entre les archéologues italiens chargés du secteur et le Parlement libanais : l’arche devrait être démontée et installée place de l’Étoile à une date ultérieure.

Selon Camille Asmar, "la DGA aura pour règle de préserver tout ce qui en vaut la peine. La Solidere a certes le pouvoir de modifier le plan d’occupation des sols, mais la loi de 1933 sur la conservation des antiquités reste en vigueur". Toutefois, le contraste est criant entre les ressources financières et humaines dont dispose la DGA et les responsabilités dont elle est chargée sur le plus grand site au monde d’archéologie urbaine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : De Berytus à Beyrouth

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