David fait peau neuve

Polémique sur la restauration du chef-d’œuvre de Michel-Ange

Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2003 - 855 mots

Après 268 années passées au grand air sur la piazza della Signoria, à Florence, 130 ans à amasser la poussière dans la Galleria dell’Accademia, et divers nettoyages dont un à l’acide chlorhydrique en 1843, le David de Michel-Ange est sur le point de faire peau neuve. Le ministre des Biens culturels, Giuliano Urbani, a mis fin à la polémique née autour de la méthode à employer pour restaurer l’œuvre. Il s’est prononcé en faveur de la technique à l’eau distillée proposée par Franca Falletti, directrice de l’Accademia.

FLORENCE - Le projet de restauration du fameux David de Michel-Ange a été le feuilleton de l’été de la presse italienne. Les désaccords et rivalités au sein du petit monde de la conservation et de la restauration n’ont fait qu’exacerber le statut d’icône de la sculpture. Le travail de nettoyage devait débuter au mois de septembre 2002, mais il fut freiné par les désaccords  portant sur la technique à employer. Cette restauration était prévue pour coïncider avec le 500e anniversaire de l’inauguration de la statue en face du Palazzo Vecchio sur la Piazza della Signoria, à Florence, le 8 septembre 1504. La statue a déjà été restaurée en 1843 à l’acide chlorhydrique et elle présente encore des traces d’agents externes comme le gypse, la cire d’abeille, l’oxalate de calcium et divers sels. Lors de l’exécution de moules en plâtre sur la sculpture au XIXe siècle, des agents de séparation furent employés afin d’empêcher que le plâtre ne colle à la surface en marbre.

La Galleria dell’Accademia à Florence, qui abrite  le David depuis 1873, a engagé l’an dernier la conservatrice Agnese Parronchi pour une délicate mission de restauration. Après trois mois de préparation à l’aide d’images numériques de la statue prises sous tous les angles, la restauratrice a proposé une technique “sèche” qui comprend l’utilisation d’air comprimé, de Coton-Tige, de gommes et de peaux de chamois. Or Franca Falletti, sa supérieure et directrice de l’Accademia, lui préfère une méthode “humide” employant des compresses imbibées d’eau distillée –  et non de produits chimiques comme certains l’ont suggéré. Cette approche a obtenu le soutien de Cristina Acidini, la surintendante de l’Opificio delle Pietre Dure à Florence, l’institution nationale spécialisée dans les travaux de restauration sur pierre.  En réaction, Agnese Parronchi a démissionné en avril, ravivant le débat entre les deux camps vivement opposés.

Un débat international
Dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien italien Corriere Della Sera daté du 19 juillet, Cristina Acidini défend vigoureusement le choix d’employer la technique “humide”. L’accumulation de plâtre représente selon elle un danger car, avec le temps, celui-ci est susceptible de se cristalliser et de se dilater, provoquant ainsi l’effritement du marbre. La technique “sèche” serait abrasive et pourrait provoquer l’incrustation des restes de plâtre dans les pores du marbre.

L’intervention dans cette polémique du ministre des Biens culturels, Giuliano Urbani, a été précipitée par la publication dans le New York Times d’une lettre qui lui était adressée, signée James Beck. Cet historien de l’art américain, membre d’ArtWatch International, est réputé pour ses critiques sévères des projets de restauration en Italie, en particulier celui de la chapelle Sixtine, aujourd’hui pourtant considéré comme un succès. Dans sa lettre, il se déclare farouchement opposé à la technique de nettoyage à l’aide de compresses humides, qu’il juge trop abrasive, lui préférant un nettoyage au pinceau et à la gomme. Il demande l’annulation de ce projet de restauration, faisant même circuler une pétition auprès d’une quarantaine d’historiens de l’art dont Paola Barocchi, Mina Gregori, Carlo Pedretti et Leo Steinberg.

In fine, le ministre a clos le débat en se prononçant en faveur de la technique humide, après avoir consulté le rapport du surintendant en chef des arts de Florence et de Toscane, Antonio Paolucci. Ce dernier a annoncé à la fin du mois de juillet que la restauration débuterait en septembre et serait supervisée par Cinzia Parnigioni, qui a déjà utilisé cette méthode sur les Esclaves de Michel-Ange à l’Accademia. La restauration sera principalement financée par le don de 165 000 euros effectué par un mécène hollandais à l’organisation à but non lucratif, Ars Longa Stichting.

\"David sera notre Stalingrad\"

David étant le symbole de la ville républicaine, le maire de Florence, Leonardo Domenici, en revendique la propriété. Le projet de loi d’autonomie en matière de biens culturels, soutenu de longue date par le président de la Région toscane, Claudio Martini, en est toujours au stade de la discussion. Mais si aujourd’hui le patrimoine artistique italien est la propriété de l’État, la tutelle et les revenus issus de certains biens culturels pourraient dans le futur revenir aux municipalités – pour David, on parle de 5 à 6 millions d’euros par an. Par ailleurs, Leonardo Domenici demande que soit réexaminé l’acte notarial du 9 novembre 1871 qui scelle le transfert du Palazzo Vecchio – où le David se trouvait alors – de l’État à la municipalité, “avec les tenants et les aboutissants�?. Si la Région approuve la loi sur l’autonomie, Antonio Paolucci, surintendant en chef des arts de Florence et de Toscane, a fait savoir que la surintendance saisirait la Cour constitutionnelle. "David sera notre Stalingrad", a-t-il déclaré. Laura Lombardi

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : David fait peau neuve

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