Musée

Maison d’artiste

Buillon, le dernier atelier de James Tissot

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2019 - 728 mots

Dans ce domaine où il a terminé sa vie, le peintre a travaillé aux œuvres religieuses, célèbres aux États-Unis, qui vont être intégrées dans une rétrospective à San Francisco.

Buillon (Doubs). L’allée serpente entre la falaise et la rivière : à travers les arbres aux troncs couverts de lichen, on en devine le miroitement. Les restes d’un château fort en ruine surplombent le chemin. Après quelques centaines de mètres dans ce décor de conte de fées, le vrai château apparaît, jolie maison d’époque Restauration avec sa colonnade tournée vers la rivière. Ici, sur la Loue, un peu en aval d’Ornans, si cher à Courbet, le peintre James Tissot (1836-1902) méditait, fondait ses émaux et s’improvisait paysagiste. Pour le parc, où subsistent les ruines d’une abbaye cistercienne, il a imaginé des fabriques et un portique japonais torii. C’était loin de Paris où il résidait, plus encore de Londres qu’il avait habité de 1871 à 1882, mais ses amis Edgar Degas ou Lawrence Alma-Tadema vinrent le visiter dans cette retraite.

Depuis la mort de son père en 1888, Tissot, chassé à 20 ans parce qu’il voulait être peintre, avait renoué avec Buillon. Il n’était même pas venu aux obsèques de sa mère en 1861. Elle repose toujours dans la chapelle du domaine et il est enterré près d’elle avec, peut-être, son âne et son chien.

Tissot se contenta d’abord du château et des annexes construites ou restaurées par son père, qui avait acquis le domaine en 1845. Puis, de 1895 à 1897, l’artiste remania profondément celui-ci. Ainsi, à partir de l’ancien logis abbatial où subsistait une tour du XIVe siècle, il bâtit son atelier dans un beau style éclectique à l’anglaise. Il transforma de même le vieux moulin sur la rivière en « résidence secondaire et maison d’amis», selon les termes du propriétaire actuel de Buillon, Frédéric Mantion. Depuis des années, à la suite de son père, celui-ci recense et étudie les documents retrouvés dans les greniers du domaine acquis en 1964 – tous les objets de valeur avaient été auparavant vendus. Des devis, des factures et des photos permettent de retracer précisément les travaux.

Dans l’atelier et le château, ainsi qu’au moulin, où la mémoire de l’artiste est soigneusement entretenue par les propriétaires, subsistent les cotonnades importées d’Inde dont Tissot avait revêtu les murs. Autour de la verrière pendent d’immenses drapeaux qu’il avait récupérés d’une Exposition universelle. Des plaques photographiques et des flacons de produits chimiques, ses derniers tubes de peinture et ses pinceaux sont présentés dans des vitrines auprès d’une sélection de lettres et de carnets. La bibliothèque accueille quelques-uns de ses albums photo. Le peintre s’était aménagé une chambre près de son atelier. Marquée « Au départ, le Havre », la mallette de ce grand voyageur a retrouvé sa place dans le cabinet de toilette attenant.

Un autre regard sur l’artiste  
 

San Francisco. Conservatrice au Legion of Honor Museum de San Francisco, Melissa E. Buron rédige actuellement une thèse sur les vingt dernières années de Tissot, consacrées essentiellement à des œuvres religieuses souvent élaborées à Buillon. Avec le Musée d’Orsay qui s’est associé au projet, le Legion of Honor Museum organise, sous son commissariat, une rétrospective du peintre. Plus de 130 œuvres – huiles, aquarelles, dessins, estampes, photos et émaux – y seront présentées. Melissa Buron insiste sur la modernité de Tissot. « Il était féministe et libéré des conventions, raconte-t-elle. Cela se voit notamment à son amour pour Kathleen Newton pendant les années londoniennes. Ils ne pouvaient pas se marier, car ils étaient catholiques et elle était divorcée. Cela ne l’a pas arrêté. » Moderne aussi, son utilisation de la photographie pour élaborer ses compositions. Il était tellement en avance sur son temps qu’il a influencé le 7e art : « Les premiers cinéastes, particulièrement les Français comme Alice Guy-Blaché, s’inspiraient de la Bible. Ils trouvaient ses aquarelles sur ce thème très cinématographiques. D. W. Griffith s’y est référé pour Intolérance, William Wyler pour Ben-Hur. Dans Indiana Jones et les Aventuriers de l’arche perdue, de Steven Spielberg, l’Arche d’alliance est exactement copiée sur celle des aquarelles sur l’Ancien Testament conservées au Jewish Museum de New York. » L’exposition sera présentée au Musée d’Orsay à partir du 24 mars 2020.

 

James Tissot : Fashion & Faith,

 

Du 12 octobre 2019 au 9 février 2020, Legion of Honor Museum, Lincoln Park, 100 34th Avenue, San Francisco (Californie).

 

Élisabeth Santacreu

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : Buillon, le dernier atelier de James Tissot

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque