Baltimore célèbre l’Art brut

Ouverture d’un musée consacré aux artistes marginaux

Le Journal des Arts

Le 1 février 1996 - 546 mots

L’American Visionary Art Museum de Baltimore se veut un conservatoire national des œuvres d’art réalisées par tous les outsiders de la société américaine. Sont concernés, les griffonneurs obsessionnels, les psychotiques, les déments criminels, les déficients intellectuels, les séniles... Cette démarche n’a en soi rien de marginal aux États-Unis, même si elle consacre paradoxalement des courants \"marginaux\" de l’art contemporain.

BALTIMORE - Des criminels aux fous, en passant par les handicapés, les malades hospitalisés, les sectateurs religieux et les intellectuels en rupture de ban, presque tout le monde a pu bénéficier ces dernières années du label "artiste marginal". Les meilleures galeries new-yorkaises ont exposé leurs œuvres, des musées publics en ont acheté, et des salons leur sont même consacrés. Rien d’étonnant donc à ce que le nouveau musée de Baltimore, l’American Visionary Art Museum (Avam) souhaite collectionner "toute forme d’art produite par des individus autodidactes dépourvus de toute formation artistique, dont les travaux témoignent d’une intense vision intérieure sublimée par l’acte créatif lui-même" car, ajoute le musée, "les plus éminents créateurs d’Art brut (Visionary Art) sont les malades mentaux, les handicapés et les vieillards". Une définition qui a le mérite de la clarté ! Cette initiative a d’ailleurs bénéficié d’une résolution du Congrès instituant l’Art brut comme "trésor national" et faisant du nouveau musée "un conservatoire national et un centre éducatif pour l’Art brut".

Ancienne directrice du développement de People Encouraging People, un organisme privé d’aide aux handicapés, Rebecca Hoff­berger a eu besoin de dix ans pour réunir les 7 millions de dollars (environ 35 millions de francs) nécessaires à la création de l’Avam, pour lequel la ville a offert deux bâtiments de trois étages d’une superficie totale de 3 900 m2, sur Key Highway, près du port situé au pied de Federal Hill. Le musée compte sept salles, un hall de sculpture de 400 m2, et un jardin de 450 m2 qui abrite un tourniquet haut de 17 mètres, le long duquel sont accrochés des "objets trouvés" qui flottent au vent.

Éliminer les tabous associés au handicap
L’Avam possède déjà plus de 4 000 pièces. Parmi elles, des œuvres de Martin Ramirez, un Mexicain né en 1885, qui a émigré aux États-Unis avant d’y être interné en 1930, et n’a jamais cessé de dessiner jusqu’à sa mort, survenue en 1960 ; de Frank Jones, emprisonné pour avoir tué sa belle-mère ; et "d’artistes locaux", comme Gerald Hawkes, qui réalise des bustes avec des allumettes. Rebecca Hoffberger a également racheté les 1 200 œuvres de la collection d’Otto Billig, un psychiatre spécialiste de l’Art brut. Sans que l’enrichissement des collections soit une priorité, elle compte privilégier les hôpitaux psychiatriques comme source de ses futures acquisitions.

Le musée prévoit d’organiser deux expositions par an. Après "L’arbre de vie", la manifestation inaugurale réunissant quatre cents œuvres, presque toutes en bois, "Le vent dans mes cheveux" aura pour thème le transport. Mais à en juger par l’aspect hétéroclite des œuvres attendues, l’Avam pourrait avoir du mal à convaincre le monde de l’art de l’efficacité avec laquelle il compte s’acquitter de sa noble mission : "Amener le public à prendre conscience de l’originalité des œuvres produites dans des circonstances extraordinaires" et "éliminer les tabous associés au handicap en illustrant les capacités humaines à triompher de l’adversité par le biais de la créativité"…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : Baltimore célèbre l’Art brut

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