Amorce de stratégie pour les musées anglais

La pression des professionnels remet en cause le traditionnel laisser-faire.

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 1080 mots

Le Department of National Heritage ou département du patrimoine national, équivalent britannique du ministère de la Culture, créé il y a deux ans, commence tout juste à mettre sur pied une stratégie pour les musées anglais. Ceux d’Écosse et du Pays de Galles dépendent du département de l’Éducation du ministère des Affaires écossaises, d’une part, et du ministère des Affaires galloises, d’autre part.

LONDRES - A ce jour, aucun avis n’a été pris, que ce soit auprès des directeurs de Musées ou de la commission des Musées et Galeries, (instance consultative, financée par le gouvernement, et chargée de promouvoir les intérêts des musées et du patrimoine culturel). L’association des Musées, qui a également entrepris d’élaborer une stratégie nationale pour les musées, n’a pas non plus été consultée. En Grande-Bretagne, le principe du laisser-faire, de la non-intervention, est appliqué depuis longtemps dans le domaine culturel. Le seul précédent de stratégie nationale remonte à 1978 : ce projet élaboré par l’organisme prédécesseur de la commission des Musées et Galeries n’a jamais été mis en œuvre.

Un contexte économique inquiétant
Mais aujourd’hui, les pressions exercées par les professionnels des musées pour que le gouvernement se décide enfin à formuler des orientations d’ensemble révèlent une inquiétude largement partagée, motivée en partie par certaines décisions antérieures du ministère, en partie par le contexte économique.

L’an dernier, malgré les protestations des directeurs de grands musées nationaux, le ministère a donné suite à sa décision de fusionner les subventions accordées aux 11 galeries et musées nationaux qu’il finance directement ; dès cette année, ils recevront de l’État une subvention globale au lieu de trois allocations distinctes (frais de fonctionnement, aide aux acquisitions, construction et entretien). Selon le gouvernement, ces fonds pourraient ainsi être utilisés avec une plus grande souplesse, mais les musées y voient surtout une façon de masquer le gel des budgets d’acquisition bloqués depuis 1985. Les problèmes financiers d’un des petits musées les plus connus et les plus charmants d’Angleterre, la Dulwich Art Gallery, fondation sans but lucratif, se sont aggravés, faute de financement suffisant, sans que le musée lui-même puisse être incriminé. Devant le refus d’assistance du département du Patrimoine national, on peut se demander comment il envisage son rôle à l’égard de la vingtaine de musées anglais qui, sans avoir un statut national, détiennent des collections d’une importance internationale.

Compressions budgétaires
Les musées nationaux, comme le British Museum, reçoivent encore du ministère des fonds suffisants, bien qu’il soit prévu de réduire la subvention d’Etat de 2,6 % en 1994-95 ; ils supportent à cet égard la comparaison avec les grands musées internationaux (Metropolitan, Louvre, etc.) par la qualité de la présentation, de la recherche et des services proposés. En revanche, les musées dépendant des collectivités locales, traditionnellement moins bien lotis, subissent maintenant le contrecoup des compressions budgétaires décidées par leurs administrations de tutelle. Leurs directeurs ont beau faire preuve d’imagination et d’énergie, ces musées, dans bien des cas, se transforment en établissements de second ordre.

Paradoxalement, alors qu’il est de bon ton d’insister sur le rôle pédagogique des musées, le service éducatif de certains d’entre eux a fermé ses portes après suppression de la ligne budgétaire dévolue au responsable de l’animation pédagogique.

Pour les conservateurs de ces musées, la recherche est devenue un luxe : les allocations-voyages sont réduites au point de rendre difficile la visite d’une exposition ou la participation à un colloque. Un conservateur pleinement qualifié gagne environ 14 000 livres par an (environ 120 000 francs), et les hommes n’acceptant pas une rémunération aussi faible, les femmes prédominent dans la profession.

Redonner vie aux musées régionaux
Au Musée de Bowes, dans le comté de Durham, splendide bâtiment du XIXe siècle inspiré du Louvre, qui abrite dans 40 salles la collection de peintures espagnoles la plus importante après celle de la National Gallery, ainsi que des œuvres majeures du style maniériste et du baroque napolitain, ainsi que de remarquables tapisseries et objets d’art français, le budget annuel d’exposition est de 6 000 livres (environ 52 000 francs).

La galerie d’art Mappin, qui fut le premier musée en Angleterre, doit fermer ses portes faute de financement par l’administration locale. De plus, le département de l’Environnement a entrepris de revoir l’organigramme des instances locales et territoriales. Cette restructuration ne va pas sans problèmes, car le conseil du Comté, qui constitue la pierre angulaire de l’édifice, est supprimé dans la plupart des régions. Certains musées, comme le Bowes, dépendront alors d’un conseil de district rural aux ressources d’autant plus infimes que la région est dépeuplée.

Un musée londonien a décidé d’attirer directement l’attention sur ces questions : Neil Macgregor, directeur de la National Gallery, organise la deuxième exposition d’œuvres empruntées au Bowes (6 mars - 22 mai) en présentant un ensemble de peintures de Zurbaran, Jacob et ses douze fils, pour rappeler à l’opinion publique et, entre autres, au Secrétaire d’État, les trésors enviables que recèlent les musées de province. Neil Macgregor, fervent admirateur de l’action menée par le gouvernement français pour revitaliser les musées régionaux, organise en juin prochain un colloque consacré aux besoins des musées dépendant des collectivités locales. Il se trouve qu’en Angleterre et ce point sera abordé,  les instances locales ne sont nullement obligées par la loi de financer les activités culturelles, quelles qu’elles soient, alors qu’en Écosse elles sont tenues d’assurer "un financement adéquat de la culture", et qu'au pays de Galles, elles doivent établir des budgets spécifiques à cette fin.

Une loterie nationale pour financer l’art
Tout n’est pas sombre dans ce tableau : la stratégie élaborée pour les musées permettra de dégager des objectifs prioritaires pour les sommes considérables que drainera en 1995 la nouvelle Loterie nationale. On en attend 75 millions de livres (environ 654 millions de francs) par an pour le Patrimoine national, – rubrique couvrant aussi bien les œuvres d’art que les bâtiments ou les sites naturels remarquables – et pour les projets dits du "Millénaire", par exemple celui de la nouvelle Tate Gallery concernant l’art du XXe siècle. Après des années de récession en Grande-Bretagne, on s’aperçoit, dans bien des domaines de la vie économique et sociale, que les solutions empiriques n’ont qu’une efficacité limitée.

Quand les ressources sont restreintes, l’absence de tout plan d’ensemble ne peut mener qu’à des injustices et à des crises. Dans le cas du département du Patrimoine national, l’absence de plan laisse aussi au Treasury (ministère des Finances) le soin de définir les priorités : mais  souhaite-t-on confier l’avenir culturel à une institution d’une ignorance et d’une indifférence notoires ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Amorce de stratégie pour les musées anglais

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