Art ancien

6 clefs pour comprendre Botticelli

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 22 septembre 2021 - 1030 mots

PARIS

Pourvue de prêts prestigieux, l’exposition majeure consacrée à Sandro Botticelli, au Musée Jacquemart-André, donne à voir la diversité d’un talent et le rayonnement d’un atelier. Retour sur les principales facettes d’une œuvre kaléidoscopique.

1 - La dévotion en héritage

Formé auprès de Fra Filippo Lippi (1406-1469), le jeune Botticelli (1445-1510) connaît par cœur le protocole qui consiste à disposer d’un modèle, fourni par le maître puis décliné par les collaborateurs, manière de créer des variations autour d’un même leitmotiv et d’assurer une relative homogénéité picturale. À cet égard, Botticelli apprend tôt à multiplier le thème de la Vierge à l’Enfant qui, d’extraction byzantine, est alors plébiscité dans la Florence du Quattrocento. Tandis que le fond or a été remplacé par une architecture albertienne ouvrant sur un paysage paisible, le jeune peintre joue a tempera avec les transparences et les couleurs franches et, plus encore, développe d’ores et déjà un type féminin que reconduiront nombre de ses tableaux : douce et gracieuse, diaphane, volontiers longiligne, la Vierge préfigure les Vénus prochaines, loin de la sévérité des icônes. Marie s’humanise et l’Enfant n’est plus un Sauveur désincarné : intimité et dévotion deviennent compatibles.

2 - Le portrait en modèle

En 1478, la conjuration des Pazzi tente de renverser le pouvoir médicéen en place. Si Laurent le Magnifique survit de justesse à cette tentative d’assassinat, fomentée le jour de Pâques, son frère Julien succombe sous dix-neuf coups de couteau. Le portrait que Botticelli conçoit du défunt, probablement d’après son souvenir et son masque mortuaire entremêlés, est un sommet du genre. Sur un fond nu, devant une baie ouvrant sur l’infini, Julien de Médicis est figuré de trois quarts, sans concession, les paupières presque closes, la bouche pincée et le nez aquilin. La noblesse le dispute à l’austérité. Singulièrement, le portrait de Bergame, qui est peut-être la matrice de la série, fut décliné en plusieurs versions rappelant la ferveur de l’atelier et la répudiation de l’unicum. De manière remarquable, Botticelli, associé à Domenico Ghirlandaio, Pérugin et Cosimo Rosselli, eut l’occasion de confirmer ses talents de portraitiste sur les parois de la Sixtine, peu avant que Michel-Ange ne vînt concevoir une voûte inoubliable. Du voisinage des génies.

3 - La Vénus en idole

Œuvre emblématique, La Naissance de Vénus (1484-1485) des Offices est une icône peuplant l’imaginaire collectif, une peinture devenue une image, excédée par son aura. Il n’en demeure pas moins qu’elle incarne parfaitement l’alliance rêvée de l’Antiquité, selon un canon largement éprouvé par les Anciens, et de l’humanisme, célébrant la dignité des êtres. Inspirée par Simonetta Vespucci, patricienne magnétique de la Florence renaissante, cette Vénus païenne, disposée sur une margelle de pierre donnant l’illusion d’un espace perspectif, emprunte au contrapposto antique par sa délicatesse et sa sinuosité. À ceci près que les cheveux, d’une longueur et d’une rousseur voluptueuses, confèrent à cette Vénus pudique, qui cache ce sexe que l’on ne saurait voir, une puissance érotique, entre offrande et refus. Vénus est ici une fille de feu. Nul hasard à ce que de nombreuses demeures florentines, de l’aveu des biographes, fussent peuplées de ces « belles femmes nues », signées de la main du peintre, grand pourvoyeur de ces allégories littéralement et symboliquement aphrodisiaques.

4 - Le tondo en testament

Avec la fin du Quattrocento se catalysent les inventions – techniques, thématiques et philosophiques. Si le réel devient un gigantesque terrain d’expérimentations, Botticelli, à la suite de Giotto et avant Léonard, est assurément un précurseur. Les recherches menées autour du tondo, qui désigne une peinture de format circulaire, constituent l’un des principaux legs à la postérité de Botticelli, lequel joue avec ce rond symbolisant la perfection et l’orbe superbe du monde. Tout indiqué pour la sphère privée, ce panneau de format complexe autorise des jeux optiques savants et connut une fortune considérable, en témoigne la peinture du « Maître des bâtiments gothiques », un associé de Botticelli que la présente exposition permet d’identifier doctement comme Jacopo di Domenico Foschi. Langueur faite grâce, courbe faite arabesque : ce tondo rappelle combien fut prégnante la leçon de Botticelli, capable tout à la fois de déléguer et d’engendrer des leçons mémorables, reconnaissables parmi tant d’autres. De la postérité d’un style, assuré par un format devenu métonymique d’une création.

5 - La pala en majesté

Bien qu’elle soit méconnue du grand public, sa production de grands retables d’église – les pale– ne doit pas être négligée. Au contraire, elle prouve combien Botticelli, conformément à une insigne tradition, s’évertua à honorer de grandes commandes destinées à orner les plus prestigieuses églises. Monumentales, ces œuvres assuraient à la manière botticellienne une lisibilité et une visibilité inégalées, ainsi que l’atteste l’ébouriffant Couronnement de la Vierge (vers 1492), exceptionnellement prêté par le Bass Museum de Miami et accompagné pour la première fois de sa prédelle d’origine, réalisée par un collaborateur du maître. Le registre céleste est particulièrement éloquent : tandis que le recueillement mélancolique de la Vierge dérive sans conteste d’un type féminin élaboré des années auparavant, le cortège d’anges, délicatement androgynes et servis par une palette virtuose, trahit un style singulier, d’une souveraine maturité. Monumentale, l’œuvre de Botticelli ne perd ni en grâce ni en nuance : la majesté n’est jamais une simple question de dimensions.

6 - Le sacrifice en échange

Au terme des années 1480, Florence tremble : fondé sur l’humanisme et l’érudition, le pouvoir des Médicis est mis à mal par Savonarole (1452-1498), moine dont les sermons apocalyptiques impressionnent et dont la dictature théocratique remplace bientôt la république médicéenne. Les actes de contrition prospèrent et les artistes viennent au bûcher des vanités brûler leurs tableaux réputés licencieux – nus mythologiques et allégories lascives. Ce revirement religieux et moral est alors sensible dans l’œuvre de Botticelli, lequel revient à des perspectives archaïques ainsi qu’à des sujets extrêmement pieux, et volontiers sacrificiels, conformément aux prédications de Savonarole. Ce faisant, le splendide Crucifix (vers 1490-1495) de Prato, jamais présenté en France, paraît conjuguer la grâce des débuts avec l’anxiété du soir, ce soir d’une vie où sourdent la douceur du renoncement et la condamnation du péché. Vénus est loin et Botticelli, âgé et affaibli, confie à son atelier des variantes dont aucune, à compter de ces années, n’aura plus la saveur de l’œuvre princeps…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Comprendre Botticelli

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