RÉTROVISION

1873, ouverture de l’éphémère « Musée des copies »

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2018 - 811 mots

L’Universal Museum of Art, musée de réalité virtuelle, fait écho à cette tentative au XIXe siècle d’un musée qui devait renfermer des copies « de tout ce qu’il y a de beau dans le monde ».

En décembre 2017 s’est ouvert l’« Universal Museum of Art » (UMA). Un musée à vocation universelle ayant pour particularité d’être totalement virtuel et accessible sur Internet. Plusieurs observateurs ont pointé la parenté intellectuelle de ce site, composé de copies numériques, avec le Musée imaginaire de Malraux. Étrangement, aucun commentateur, du moins à notre connaissance, n’a en revanche évoqué un autre antécédent pertinent : le « Musée des copies ». Un lieu atypique qui a connu une existence on ne peut plus éphémère. Inauguré en avril 1873, au sein du palais de l’Industrie à Paris, il s’est soldé par un cuisant échec et a dû fermer seulement neuf mois plus tard.

Cette structure conçue pour abriter sous un même toit le meilleur de la peinture occidentale a été portée par une personnalité phare de l’époque : Charles Blanc (1813-1882). Historien de l’art, fondateur de la Gazette des Beaux-Arts, professeur au Collège de France, il a par ailleurs assuré deux mandats de directeur de l’administration des Beaux-Arts à vingt ans d’intervalle. Fervent républicain, il y développe des idées progressistes, notamment sur la pédagogie et la démocratisation de l’art. Il les mettra en application essentiellement lors de son deuxième directorat après la chute de l’Empire. C’est d’ailleurs grâce à l’homme fort de la IIIe République, Adolphe Thiers, qui avait eu l’idée d’un tel établissement dès la monarchie de Juillet, que Blanc pourra bâtir cet établissement unique et chimérique.

En 1871 Blanc soumet son projet à son ministre de tutelle, Jules Simon. Ce dernier, également chargé de l’Instruction publique, ne peut qu’accueillir avec enthousiasme ce futur « musée universel», que Blanc décrit dans son rapport comme « renfermant des copies excellentes, des moulages parfaits, et des épreuves de choix, de tout ce qu’il y a de beau dans le monde entier. L’histoire des arts se déroulerait ainsi dans une galerie magnifique et sans pareille, dont les parois seraient couvertes de bas-reliefs antiques et modernes depuis les Égyptiens jusqu’à Puget ».
 

Un musée plein d’ambition
Si la dimension pédagogique est la clef de voûte de ce projet, le musée poursuit d’autres objectifs. Blanc lui prête ainsi des vertus de démocratisation culturelle, de conservation, et même de soutien à la création. Pour constituer les collections, l’administrateur pioche en effet dans les copies déjà existantes, et sollicite des artistes contemporains pour exécuter d’autres reproductions. Ces commandes sont alors un coup de pouce non négligeable pour une scène artistique fragilisée par le contrecoup de la défaite de 1870.

Après le démantèlement du musée, Blanc tentera de préciser ses intentions en expliquant que le musée « devait contribuer à instruire le peuple en lui montrant une image fidèle de chefs-d’œuvre dont il ne verra jamais les originaux, qui sont d’ailleurs condamnés à périr ». Ce lieu qui devait aussi « rappeler aux artistes les exemples qu’ont laissés leurs ancêtres » ne reçut pas l’accueil escompté. Après la démission de Blanc, la collection est purement et simplement démantelée à l’instigation de son successeur, Charles-Philippe de Chennevières, qui propose à son ministre « la translation immédiate à l’École des beaux-arts d’un choix des meilleures toiles ». Le reste rejoindra les cimaises des musées de province. Les raisons de ce naufrage sont multiples et complexes. La qualité et le nombre d’œuvres sont souvent incriminés. Le caustique Albert Wolff dans sa critique « Le musée des horreurs » publiée dans Le Figaro imagine les réactions atterrées des maîtres face à ce spectacle. « Vélasquez s’arrachait les cheveux ; Raphaël poussait des gémissements. » Tandis que Michel-Ange s’indigne : « Sous aucun gouvernement et à aucune époque de l’histoire, une administration quelconque des beaux-arts n’a ouvert de musée plus attristant que celui-ci. » Il s’agirait ni plus ni moins d’un « attentat contre la peinture ». Certains critiques, plus pondérés et peut-être plus objectifs, comme Henri Delaborde dans La Revue des deux mondes, évoquent d’autres causes, telles les lacunes de l’accrochage. À son ouverture, le musée compte en effet à peine 130œuvres, ce qui est bien peu pour se revendiquer universel. Delaborde pointe aussi des raisons plus philosophiques, notamment la pertinence d’investir des ressources financières dans le culte du passé au détriment de la création contemporaine. Mais surtout il fustige le caractère anachronique de ce lieu, que ses promoteurs n’ont pas su ou voulu voir. À une époque où l’enseignement académique est de plus en plus remis en cause et où les artistes modernes tentent d’imposer de nouveaux canons, proclamer que l’imitation des modèles anciens est la voie royale ne pouvait que provoquer des crispations. Tout comme accorder à de simples imitations une valeur artistique à l’heure où la notion de la personnalité de l’artiste devient une question cruciale. Comme le résume le critique, il manque à ces copies l’essentiel : « l’âme secrète, l’inspiration intime qui vivifiait l’œuvre originale ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : 1873, ouverture de l’éphémère « Musée des copies »

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