Mémorial - Musée

Deux musées dont on va parler

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 20 novembre 2022 - 613 mots

Comme l’étymologie nous le rappelle, les musées sont des lieux qui furent d’abord voués aux Muses, même s’il suffit d’examiner de plus près le premier Mouseîon – celui d’Alexandrie, à l’époque hellénistique – pour découvrir que c’était en fait un complexe culturel où l’« exposition » en question n’était pas encore celle des objets en deux ou trois dimensions, mais intégrait principalement une bibliothèque (exposition d’écrits) et une salle de réunion (exposition de paroles), le tout unifié par l’hypothèse, au fond, d’une possibilité – et d’une nécessité – d’exposition d’idées.

Le Musée-mémorial du terrorisme occupera le site de l'ancienne école en plein air de Suresnes. © Thomas Brenac, 2015, CC BY-SA 4.0
Le Musée-mémorial du terrorisme occupera le site de l'ancienne école en plein air de Suresnes.
Photo Thomas Brenac, 2015

Sans en avoir d’emblée eu l’intuition, les fondateurs modernes d’espaces muséaux ont ainsi étendu l’acception du terme en repoussant toujours plus loin les frontières de ce qui était muséable et, à chaque fois, en relation avec les valeurs dominantes de l’époque. Rien d’étonnant, dès lors, si la France de la Révolution a ouvert un Museum (installé, pas par hasard, entre les murs de l’ancien palais des rois, dénommé le Louvre) animé par un double projet national et démocratique, ou si c’est dans l’Angleterre industrielle et libérale du XIXe siècle que s’est ouvert, soixante ans plus tard, le premier grand musée voué aux « arts appliqués », placé sous l’égide de rien moins que le couple royal (Victoria et Albert). L’histoire des musées d’histoire – y compris naturelle – et des musées des techniques entretient ainsi un rapport étroit avec l’évolution des sociétés, de la révolution industrielle moderne à la désindustrialisation post-moderne. Ainsi l’apparition de musées d’ethnographie, placés dans l’entre-deux-guerres sous l’égide des « arts et traditions populaires » avant que ne soit expérimentée la notion d’« écomusée », témoigne-t-elle d’une évolution du regard des élites sur les faits sociaux, les classes populaires ou les ethnies dominées.

Présente à toutes ces étapes, la France continue en ce domaine à expérimenter des types de musées nouveaux même si, en fonction de ce qui précède, il est facile de les situer dans une forme, implicite, de continuité. Deux musées dont on commence à peine à parler et qui officiellement ne verront le jour qu’en 2027 sont déjà, quel que soit leur destin, deux exemples remarquables de cette sensibilité à une forme de « demande sociale » contemporaine, transmuée en scénographie : le Musée-Mémorial du terrorisme de Suresnes et le Musée des féminismes d’Angers.

Le premier s’ouvrira dans un site de grande signification puisque, sur les flancs du Mont-Valérien, à proximité du mémorial de la France combattante, il s’agit de l’ancienne « École de plein air » de la cité-jardin chère au maire social-démocrate de l’entre-deux-guerres, Henri Sellier. Ces bâtiments, signés Eugène Beaudouin et Marcel Lods, figurent déjà dans l’histoire de l’architecture, de l’urbanisme et de la pédagogie. C’est dans ce lieu, témoignage de l’abandon d’une utopie pacificatrice, que devrait donc s’ouvrir un établissement dont les fondements proclamés sont « la liberté d’expression, le respect des victimes, la responsabilité vis-à-vis des publics et la transmission aux jeunes générations ». Le second devrait voir le jour dans un quartier de la ville d’Angers (Belle-Beille) identifié aux HLM des Trente Glorieuses et au campus de l’université. Cette dernière, grâce au dynamisme d’une de ses professeures, Christine Bard, présidente des Archives du féminisme et responsable du site d’expositions virtuelles Musea, est identifiée internationalement aux études de genre.

Par-delà les différences qui peuvent séparer un projet fortement soutenu par l’État d’un autre qui, pour l’instant, s’adosse à l’université et au mouvement associatif, les ressemblances sautent aux yeux. La notion de « mémorial » – testée en France à Caen à partir de 1988 – en définit assez bien les enjeux, privilégiant les logiques de médiation sur les logiques de collection. Les porteurs des deux projets sont, significativement, un historien (Henry Rousso à Suresnes) et une historienne. Après tout, l’une des neuf Muses s’appelait Clio [Muse de l’Histoire]…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : Deux musées dont on va parler

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