Ventes aux enchères

Une vente Hirst ne fait pas le marché

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 21 novembre 2008 - 789 mots

La vente Damien Hirst, en septembre 2008, n’a pas fondamentalement changé les règles d’un marché de l’art contemporain gagné par la récession.

Que n’a-t-on dit ou écrit sur la vente Damien Hirst organisée en septembre. Qu’elle marquait la fin des relations entre les artistes et les galeries puisque le créateur, promu en tête de la Power List du magazine Art Review, avait livré directement son fonds d’atelier aux enchères. Ou que son succès le jour même de la faillite de la banque Lehman Brothers attestait du schisme entre le marché de l’art et le marché financier.

Certes Damien Hirst a fait la nique aux deux marchands les plus puissants de la planète, l’Américain Larry Gagosian, aspirateur d’artistes devant l’Éternel, et Jay Joplin, patron de la galerie londonienne White Cube et promoteur des Young British Artists. Mais il n’a pas tourné le dos aux marchands puisqu’il retourne dans le giron d’Emmanuel Perrotin en 2010 (lire www.artclair.com), le premier marchand à l’avoir exposé en 1990 sans avoir tiré de juteux profits.

En orchestrant cette vente, Hirst a rappelé que le créateur était l’élément central du dispositif marchand-artiste-collectionneur. Il a surtout fait un pied de nez à ses collectionneurs en montrant qu’il pouvait réaliser à l’infini des animaux dans du formol. Tant pis pour ceux qui sont prêts à dépenser des fortunes pour des œuvres produites presque à la chaîne.

On croit entendre en écho le poète belge Marcel Broodthaers qui entama sa carrière artistique par ces mots : « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie […]. L’idée enfin d’inventer quelque chose d’insincère me traversa l’esprit et je me mis aussitôt au travail. » Et les collectionneurs sont tombés dans le panneau, à pieds joints, la fleur au fusil. Il fallait sans doute une bonne dose de cynisme pour acheter le Veau d’or noyé dans du formol, bovin renvoyant à son propriétaire la vanité et l’inanité de cette histoire.

Des invendus en hausse
Si la vente Hirst est symptomatique d’une certaine confusion ou redistribution des rôles, elle ne témoigne en aucun cas de l’état réel du marché de l’art. Elle fait plus office de phénomène, voire d’épiphénomène, que de maître étalon. La (dure) réalité s’est rappelée au bon souvenir des professionnels dans d’autres ventes publiques en octobre à Londres et à Paris. Christie’s a décroché de justesse un total de 32 millions de livres sterling (40 millions d’euros) le 19 octobre 2008, en dessous des 57 millions escomptés, tout comme Sotheby’s a dû se contenter le 17 octobre de 22 millions de livres sterling (27 millions d’euros), loin derrière l’estimation préalable de 31-43 millions de livres.

Les taux d’invendus sont sidérants, de l’ordre de 45 % chez Christie’s, jusqu’à 50 % chez Artcurial à Paris, le pic ayant été atteint chez Phillips avec un taux d’invendus de 85 % en valeur à Londres. Catastrophe ? Oui et non, car la plupart des œuvres proposées n’avaient qu’un intérêt très relatif et étaient surévaluées. Il faut aussi remettre les choses en perspective. Voilà cinq ans, on aurait trouvé de tels résultats miraculeux. Une vente londonienne de Sotheby’s ne générait alors que 3,5 millions de livres.

La fin des « garanties » ?
Le baromètre, certes non chiffré, c’est aussi des transactions de plus en plus dilatées dans le temps, des annulations à gogo, des réserves étalées sur deux semaines plutôt que dix minutes. Les affaires furent ainsi mitigées sur les foires Frieze à Londres et à la Fiac à Paris, avec un repli patent sur les valeurs sûres. La mercuriale d’Art Basel Miami promet aussi de fonctionner au ralenti.

Le marché s’est pour l’heure plus rétréci que brisé. Il est devenu plus adulte aussi. Les maisons de ventes rechigneront désormais à satisfaire la cupidité croissante des vendeurs via le système des garanties. Sotheby’s avait ainsi perdu 12 millions d’euros en garantie en octobre avec les déroutes des ventes de Londres et Hong Kong. Et pourtant la maison de ventes, qui affichait un volume de 215 millions d’euros de garanties au premier semestre, les avait déjà réduites de moitié par rapport à 2007. La fin des largesses ne fait que commencer.

Repères

Premier marché :
territoire des galeristes qui représentent les artistes. L’accès aux artistes les plus en vue sur le premier marché étant parfois difficile, certains collectionneurs se rabattent sur le second marché.

Second marché :
terrain des ventes publiques et des marchands qui ne représentent pas les artistes. N’est achetée sur le second marché qu’une œuvre ayant déjà transité par le premier marché, sauf cas exceptionnel de la vente Hirst.

Garanties :
sommes que les maisons de ventes anglo-saxonnes consentent aux vendeurs quelle que soit l’issue de la vente.
 

Questions à... Grégoire Billaut, spécialiste chez Sotheby's

La vente Damien Hirst est-elle un épiphénomène ou un baromètre pour le marché ?
C’est l’exception qui confirme la règle, un phénomène tout à fait à part dans son format, sa définition. Sa réussite n’est pas un baromètre, mais le signe d’une profondeur du marché. La vente d’art italien un mois après à Londres était plus significative en totalisant le même chiffre qu’en octobre 2007 avec le même nombre d’artistes et de lots. L’autre facteur intéressant, c’est le taux très important d’invendus. Les ventes d’octobre avaient été montées en juillet-août, dans l’euphorie du mois de juin, et ne reflétaient pas l’atmosphère à la date de la vente.

Comment voyez-vous l’avenir ?
Il y a un ralentissement économique général, et il n’y a aucune raison pour qu’on soit épargné. Il y aura une prise de risque moins importante. Il est possible que les ventes affichent désormais des taux d’œuvres vendues de seulement 70 %. Mais une baisse de 15 à 20 % atteste de l’existence d’un vrai marché doté de densité. En revanche, les tableaux à 30-40 millions de dollars apparaîtront plus rarement en vente.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°608 du 1 décembre 2008, avec le titre suivant : Une vente Hirst ne fait pas le marché

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