Jacques Rigaud, de la nécessité des FRAC

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 1498 mots

Après trente ans de pratique culturelle très diversifiée, Jacques Rigaud est devenu depuis trois ans président du FRAC Aquitaine. Avis de spécialiste sur les fonds régionaux.

Après une longue carrière dans l’administration et, après avoir entre autres présidé aux destinées d’institutions aussi diverses que RTL, le musée d’Orsay, la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, vous avez accepté il y a trois ans – pour occuper notamment le temps de votre retraite – la fonction de président du FRAC Aquitaine. En quoi un tel objet culturel vous intéresse-t-il ?
Les FRAC sont une institution tout à fait singulière. En 1982, c’était tout de même assez audacieux de la part de l’État que de vouloir associer les régions – qui naissaient alors – à la constitution de collections d’art contemporain, lequel était aussi peu populaire que possible. Cela l’était d’autant plus qu’il s’agissait de faire découvrir l’art d’aujourd’hui à un public autre que celui des spécialistes en créant non pas des structures sur le modèle des musées mais des collections destinées avant tout à
circuler en région.

À quoi attribuez-vous le fait que les régions aient répondu aussi spontanément à l’appel du pied de l’État ?
C’est une de mes grandes surprises. Non que je sois sceptique quant à l’attention des élus aux questions culturelles mais il faut bien dire que l’art contemporain n’avait jamais vraiment été une priorité pour eux. Quelles sont les raisons qui ont bien pu les convaincre ? La première, c’est que les régions en tant que collectivités se sont rendu compte que pour exister dans l’opinion publique à notre ère médiatique, la culture était un excellent vecteur. Pour un maire qui souhaite par exemple attirer des entreprises, il y a trois priorités : transport et communication, scolarisation des enfants, culture et qualité de vie ; à égalité de prestations sur les deux premières, une ville qui a une bonne image culturelle l’emportera toujours sur les autres.

La seconde raison, c’est que les lois Defferre sur la décentralisation, qui ont donné un certain nombre de responsabilités précises aux régions sans toutefois leur interdire d’agir dans les autres domaines, ont laissé le champ culturel complètement ouvert. Dans le domaine de l’art contemporain, à quelques exceptions près, c’était alors le grand désert. À partir du moment où l’État leur a tendu la main, les régions ont accepté de jouer le jeu par-delà les interrogations et les états d’âme qui pouvaient être le lot de certains de leurs responsables. Ce qui a été judicieux, c’est que les gens que l’on a nommés à la tête des FRAC n’étaient pas des fonctionnaires. C’étaient pour la plupart des critiques d’art, des journalistes ou des gens du milieu culturel associatif, c’est-à-dire des gens qui n’ont peur de rien – y compris de l’utopie – et qui sont allés au charbon avec une espèce d’innocence, au bon sens du mot, et cela a le plus souvent accroché.

Mais vous, quelque dix-huit ans après la création des FRAC, qu’est-ce qui vous a motivé à accepter ce poste de président ?
La curiosité. Après trente ans de pratique culturelle effectivement très diversifiée, je voulais voir de près comment cela se passait dans le domaine de l’art contemporain que je n’avais jamais suivi que de très loin. De plus, l’argument qu’a utilisé Alain Rousset, le président de la région Aquitaine, pour me persuader d’accepter ce poste a été déterminant. Quand il m’a dit qu’il voulait mobiliser la « diaspora Aquitaine », c’est-à-dire des gens qui, comme moi, ont des attaches dans cette région et qui ont une expérience publique, privée, nationale et internationale, susceptible d’y être utile, je n’ai pas su dire non. Cela correspondait aussi à mon souhait de poursuivre et de développer mes propres engagements et puis je me suis dit que, pour un vieux jacobin repenti comme moi, même si j’avais déjà l’expérience du travail avec les collectivités, l’idée de prendre la responsabilité d’une entité régionale ne m’était pas indifférente.

Qu’est-ce que vous attendiez donc de l’art contemporain et qu’est-ce qu’il vous a apporté ?
Des questions. Pas des réponses mais des questions. Si j’ai eu la chance d’avoir des relations personnelles avec un certain nombre d’artistes comme Pierre Soulages, Zao Wou-Ki, Garouste ou d’autres, j’ai très vite ressenti à travers les différents contacts avec la jeune création le passage à quelque chose de complètement différent. Il y a là tout un monde de questions qui me hantent et même si beaucoup de choses que l’on peut voir actuellement peuvent apparaître d’abord comme des impasses, il y a toujours une issue. Indépendamment d’un mode de gestion qui m’intéresse, le FRAC est un excellent poste d’observation et de questionnements sur l’art d’aujourd’hui. Il me permet de prendre la mesure de tous les problèmes qui préoccupent les artistes quant aux concepts d’œuvre, de projet, de production, de collection, de droits d’auteur, etc., bref tout ce qui concerne la création vivante. Cela me plonge parfois dans une grande perplexité, voire me déstabilise complètement, mais au moins cela me tient éveillé… pour autant que j’aie quelque risque de m’endormir.

Président de FRAC, c’est une fonction potiche ou bien vous avez un rôle réellement inducteur ?
Ça peut très bien être un rôle potiche, ce n’est pas interdit, mais ceux qui me connaissent savent que ce n’est pas vraiment mon style. Contrairement à d’autres institutions comme les musées, les FRAC n’ont pas de statut légal à proprement parler, même si la plupart d’entre eux sont organisés sous forme associative. Pour moi, le rôle d’un président de FRAC, c’est d’abord d’animer son conseil
d’administration. Cela est d’autant plus intéressant que celui-ci est constitué d’individus issus d’horizons très divers : élus, représentants de l’État, universitaires, collectionneurs, conservateurs de musées, etc. J’ai une certaine habitude de la direction de groupe mais là il faut essayer de créer un esprit commun entre des gens qui ont des profils, des sensibilités, des approches, des points de vue très différents. Avoir des relations politiques – au sens noble du mot – avec l’État et la Région, fixer la ligne directrice du FRAC, réfléchir à son avenir, contribuer à sa médiatisation, etc., ce sont quelques-unes des tâches qui occupent le président d’un FRAC et qu’il doit remplir en bonne intelligence avec son conseil d’administration et son directeur. C’est ce à quoi je m’applique en Aquitaine et qui nous a permis de faire aboutir des chantiers qui étaient en suspens : édition du catalogue de la collection, installation provisoire dans un nouveau lieu en attendant un bâtiment définitif, recadrage de la circulation de la collection, etc.

On parle beaucoup de FRAC deuxième génération. Quel avenir voyez-vous pour ce type d’institution afin qu’elle perdure dans les qualités d’intention qui l’ont fondée ?
Si l’on parle de FRAC de la deuxième génération, cela veut dire que l’on considère qu’ils ont toujours leur légitimité, voire leur nécessité, mais autrement. Vingt ans après leur création, la question primordiale qui se pose est celle du sort de leurs collections qui sont devenues très importantes, donc encombrantes. Une grande partie des œuvres des FRAC qui ont été achetées dans les années 1980 concernent les décennies 60-70,  un art qui est d’ores et déjà historicisé. Il y a donc le risque que les FRAC se transforment en musées témoins de ces années passées ou que la gestion de ces collections les empêche de se consacrer à des formes de création plus vives. Aussi on est en droit de se demander si, en plus des dépôts déjà opérés dans nombre de lieux publics, les FRAC ne devraient pas s’alléger au bénéfice des musées pour explorer plus avant l’art au présent. À moins qu’il ne faille organiser dans les FRAC un lieu autour de la collection pour qu’elle ne soit plus une réserve statique. On pourrait imaginer alors un dispositif assez souple qui en permette une consultation au gré des besoins. Il y a une vraie nécessité à imaginer des lieux de ce genre, qui soient très ouverts, aussi peu institutionnels que possible et qui permettent d’aller plus loin dans la familiarisation des publics les plus divers avec l’art d’aujourd’hui. Par ailleurs, il conviendrait de renforcer les liens de partenariat avec un certain nombre de lieux culturels en région pour en faire de véritables têtes de réseau. Ce sont là autant d’idées qu’il s’agit de traiter au cas par cas parce que chaque FRAC est singulier.

Vous semblez très attaché à ce qu’il n’y ait pas amalgame entre un patrimoine qui s’appelle l’art contemporain et un autre qui est du ressort de l’art moderne…
Absolument et il me paraît indispensable que les FRAC gardent leur légèreté et leur souplesse de fonctionnement pour leur permettre d’accompagner les artistes dans leur démarche sans pour autant les ossifier ou les classer comme le fait par définition l’institution muséale. Tout l’intérêt de l’art contemporain est d’être en permanence dans un principe de nouveauté et d’invention. Cela le tient à l’abri des différents formatages que nous impose sans cesse la société d’aujourd’hui. Son espace est un espace de liberté, il faut le préserver.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Jacques Rigaud, de la nécessité des FRAC

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