ENTRETIEN

Philippe Poirrier : « Les politiques publiques ont de vrais effets »

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 4 juin 2014 - 750 mots

Philippe Poirrier a coordonné la nouvelle édition d’un ouvrage rassemblant une série de textes sur la politique culturelle en France issus de sources diverses (études d’universitaires, discours d’hommes politiques...) et publiés entre 1955 et 2012. Ces documents lui permettent d’en analyser les thèmes et d’apprécier l’importance des débats en France depuis soixante ans.

Quels sont les temps forts des débats sur la politique culturelle depuis 1955 ?
Sous la IVe République, au moment de Jeanne Laurent [sous-directrice des spectacles à la direction générale des beaux-arts], le débat portait sur la nécessité d’une véritable politique culturelle. Pendant les années Malraux, les débats sont très liés à la personnalité du ministre. Certains acteurs issus de l’éducation populaire critiquent aussi sa politique au motif qu’elle s’inscrit dans la tradition des beaux-arts, et serait trop élitiste. Les débats les plus importants se déroulent entre le milieu des années 1970 et les années 1980. C’est le moment où la culture est prise en compte par l’État et les collectivités locales. Au cours de de la décennie 1970, se produit une politisation des débats. Le PS fait de la culture un élément du changement possible, cela devient un enjeu politique pour les partis politiques. Par la suite, toutes les réformes menées par Jack Lang suscitent de nombreuses discussions jusqu’à l’ouvrage de Marc Fumaroli publié en 1991, L’État culturel, qui mène une critique de fond de l’État-providence et dresse un premier bilan des réformes de la gauche. Puis, à partir de 1993, le thème de l’exception culturelle occupe une grande partie des controverses.

Il semblerait que les débats se soient émoussés depuis quelques années ; comment l’expliquer ?
C’est vrai et la dernière campagne des présidentielles en a été un bon exemple. Peut-être en raison d’un consensus général sur la politique culturelle et parce que cela n’apparaît plus comme un impératif. On a le sentiment que l’essentiel a été fait, des réseaux d’institutions couvrent tout le territoire… Les débats perdurent certes au sein des réseaux professionnels, mais sont moins portés par les élus, sauf exceptions, à l’échelle locale et nationale.

Un consensus certes, mais n’y a-t-il pas un débat récurrent sur la démocratisation culturelle ?

Oui, mais cette question reste consensuelle. La démocratisation culturelle a longtemps été présentée comme ce qui justifiait une politique publique de la culture. À droite comme à gauche, il y a cette idée que la Culture est un élément du pacte républicain. On retrouve cela avec l’exception culturelle, la culture ne doit pas être une marchandise comme les autres.

N’y a-t-il pas consensus pour en tirer un constat d’échec ?
Il y a cette tendance à voir la face sombre des choses à cause de pesanteurs sociologiques fortes. Mais à l’échelle des institutions et des territoires, la France a radicalement changé en trente ou quarante ans. Les politiques publiques ont de vrais effets. Bernard Faivre d’Arcier le défend pour le théâtre. Beaucoup utilisent ce débat sur la démocratisation pour critiquer le ministère et se poser la question de sa pertinence.

La mise à jour de l’ouvrage porte sur les années 2005 à 2013. Qu’avez-vous constaté ?
On a vu émerger d’autres discours pour légitimer la politique culturelle : l’éducation artistique et culturelle, le rayonnement culturel de la France, l’impact économique. Ce dernier est beaucoup plus présent qu’avant, compte tenu en particulier de l’importance du tourisme et de la valorisation du patrimoine. Il y a eu aussi la controverse sur la Maison de l’histoire de France qui renvoyait à une vision large de la culture. Mais le sujet a été politisé. Quant à la révolution numérique, le débat porte sur deux niveaux : un niveau très technique qui requiert des compétences et n’intéresse que les professionnels du secteur ; et, sur un plan plus large, le fait que le numérique fragilise notre modèle de politique culturelle. Il remet ainsi en cause le droit d’auteur, la circulation des images.

Ces débats influencent-ils les décideurs ?
Très faiblement ! Déjà Augustin Girard à la direction de la prospective au ministère de la Culture dans les années 1960 se plaignait que ses travaux n’avaient pas d’influence sur la politique. Aujourd’hui l’agenda du politique est dans le temps court. La singularité des époques Malraux et Lang est que ces ministres ont été en place pendant près de dix ans. C’est assez pour engager une réflexion et la mettre en œuvre. Après Malraux et Lang, la plupart des ministres ne vont rester que deux à trois ans et, à chaque fois, on change les cabinets. Cela donne plus de place à l’Administration…

Philippe Poirrier (sous la dir.), La Politique culturelle en débat. Anthologie (1955-2012), nouvelle édition revue et augmentée, La Documentation française, coll. « Travaux et documents », 2013, 320 p., 15 €.

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Philippe Poirrier. Photo D.R.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Philippe Poirrier : « Les politiques publiques ont de vrais effets »

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