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ART CONTEMPORAIN

Wolfgang Laib croque ses croissants de lune

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 720 mots

Le temps, le cosmique, l’invisible : l’artiste allemand poursuit sa transposition dans la pierre et le pastel de ces notions métaphysiques et éternelles.

Paris. Cela faisait quinze ans que Wolfgang Laib n’avait pas eu d’exposition personnelle en galerie à Paris, depuis 2002 chez Chantal Crousel. Et encore, il s’agissait à l’époque de photos. Il faut remonter à 1996, également chez Crousel, pour des œuvres plus importantes. Entre-temps, on avait toutefois pu le voir au Musée de Grenoble (en 2008 après le Carré d’art à Nîmes en 1999). Inutile, donc, de préciser que Wolf-gang Laib est un artiste rare, qui prend le temps et le met au centre de sa démarche. C’est bien de temps dont il est question dans le solo show que lui organise actuellement Thaddaeus Ropac, le temps évoqué par le cycle complet de la Lune déployé en une grande installation. Celle-ci se compose d’une longue frise de 28 dessins qui courent sur les trois murs de la salle centrale de la galerie (11 planches de chaque côté et 8 au fond). 28, comme le nombre de jours du cycle de l’astre. Lorsqu’on lui demande s’il l’a fait exprès, Laib répond que non. « C’est le hasard de la taille des feuilles de papier que j’ai utilisées et accrochées à la suite. Je ne pouvais ni en enlever, ni en rajouter une, et je ne voulais surtout pas redécouper le papier. Mais le hasard fait souvent bien les choses. »

Sur ces feuilles blanches, sur le mur blanc, Laib a dessiné au pastel blanc un paysage imaginaire, avec quelques montagnes, et la lune, croissante puis décroissante. Blanc, sur blanc, sur blanc. Autant dire que de face on ne distingue presque rien. Il faut se placer sur le côté pour apprécier la magnifique subtilité de ces dessins qui jouent avec la lumière et découvrir encore, ici ou là, des citations de textes sanskrits, taoïstes, perses. La dernière, l’artiste l’a trouvée dans l’église Santa Maria Novella à Florence : « J’étais là où vous êtes et je suis où vous serez. » Le temps encore. Et le passage de l’invisible au visible. Jusque-là, Laib travaillait le blanc avec le lait qu’il étalait sur des plaques de marbre. Cette fois, il lui a été inspiré lors d’un rituel exécuté par les prêtres shintô dans le sanctuaire Meiji à Tokyo, à l’occasion de la cérémonie de remise du prix Praemium Impériale 2015. Mais peu importe la source, ce qui compte pour Laib, c’est l’au-delà des choses. L’exposition s’intitule d’ailleurs « The Beginning of Something Else » (Le début de quelque chose d’autre). Le lait a toujours été pour lui bien plus qu’un monochrome blanc. De même indique-t-il qu’une œuvre réalisée avec du pollen – l’un de ses matériaux de prédilection (avec la cire) qu’il cultive et ramasse lui-même – « représente bien plus qu’une peinture jaune. Une peinture jaune ne pourra jamais être aussi forte qu’une œuvre de pollen ».

L’« œuf de l’univers »

À l’immatérialité de ses dessins s’opposent ici, bien réelles et tangibles, disposées au centre de l’espace, six pierres en granit noir d’Inde, que Laib enduit d’huile pour les noircir plus encore et leur donner quelques reflets. Taillés en forme d’œuf, ces six « Brahmanda » (« œuf de Brahma » en sanskrit) sont d’autant plus importants qu’ils rappellent sa première œuvre créée en 1972. « J’avais alors 22 ans, j’étais au milieu de mes études de médecine, je suis allé en Inde, j’ai découvert l’œuf de Brahma, donc l’“œuf de l’univers”. Ce fut pour moi une révélation. À mon retour en Allemagne, j’ai décidé que je ne serai pas médecin mais artiste. » Une seconde naissance en quelque sorte. C’est d’ailleurs en Inde, où il séjourne plusieurs mois par an, près de Madurai, qu’il veut réaliser un immense Brahmanda de 20 m de long dans la roche. Un projet de longue haleine. Mais qu’importe. À quelqu’un qui lui avait demandé un jour : « C’est quoi l’éternité ? », il avait répondu : « L’éternité, c’est l’éphémère. »

Pour être plus terre à terre, les prix vont de 6 000 euros pour les plus petits dessins, parmi la dizaine accrochée, jusqu’à 18 000 pour les plus grands. Les pierres oscillent entre 90 000 à 180 000 euros et la grande vaut environ 500 000. Des sommes accordées à un artiste de son âge (il est né en 1950), de sa notoriété et qui produit très peu d’œuvres.

 

Wolfgang Laib, the beginning of something else,
jusqu’au 14 octobre, galerie Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003 Paris.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Wolfgang Laib croque ses croissants de lune

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