Attribution

Vers un « profil ADN » des œuvres d’art

Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 824 mots

Une équipe de chercheurs américains a mis au point une méthode pour déceler la « signature » des peintres.

L’identification des criminels a longtemps reposé sur un ensemble d’arguments indirects, plus ou moins contestables et d’ailleurs souvent contestés. Ceci a complètement changé avec l’apparition des méthodes d’analyse de l’ADN, qui montrent une signature particulière caractéristique de chaque individu.

L’identification des œuvres d’art, et en particulier des tableaux et des dessins, reste en majeure partie subjective. En l’absence de documents d’archives permettant de suivre l’histoire d’un tableau, c’est essentiellement « l’œil » du connaisseur qui va reconnaître ou non la manière de tel maître, confirmer ou infirmer telle signature. On connaît la réputation des virtuoses de l’attribution (Roberto Longhi, Federico  Zeri, Denis Mahon, Pierre Rosenberg, etc.). Cependant, de nouveaux « attributionnistes » remplacent les anciens et changent notre vision des œuvres. La Sainte Famille à l’escalier, de Poussin, considérée comme une copie lorsqu’elle était en France, est brusquement passée à l’état d’original lorsque son propriétaire l’a emportée dans une valise pour la vendre au Musée de Cleveland.

Les méthodes d’analyse physico-chimiques actuellement employées sont d’un intérêt limité. L’examen de la composition chimique de la peinture permet d’identifier seulement les faux non contemporains de l’artiste. Ainsi l’analyse des isotopes du plomb dans ses tableaux permit de démasquer Van Meerghen, en datant à une période récente l’exécution des faux Vermeer dont il s’était fait une spécialité et qu’il avait su vendre au Museum Boijmans Van Beuningen à Rotterdam ainsi qu’à Goering.

Cependant, les faux avérés sont rares : le plus souvent nous nous trouvons face à des copies ou  à des imitations d’élèves ou de contemporains de l’artiste. On connaît le Livre de raison de Hyacinthe Rigaud : ce peintre dirigeait un grand atelier, presque une usine où toutes sortes de spécialistes (citons Joseph Parrocel pour les paysages et les batailles) collaboraient à la réalisation des tableaux. Chaque tableau était à son tour copié en un nombre variable  d’exemplaires soigneusement répertoriés dans le Livre de raison. Comment à l’heure actuelle distinguer ce qui est l’œuvre de Rigaud lui-même ? Des problèmes similaires se posent pour de nombreux grands ateliers comme ceux de Rubens ou de Vouet.

Une révolution pour le marché de l’art
Un article récent, publié dans les annales de l’Académie des sciences des États-Unis par des mathématiciens et informaticiens de l’université de Dartmouth (Massachusetts, États-Unis), apporte peut-être une solution à ces problèmes (1). Ces auteurs ont d’abord numérisé à haute résolution des peintures et des dessins. Ils ont ensuite appliqué une puissante méthode de décomposition de l’image dite « des vaguelettes ». Cette analyse permet d’appréhender non seulement l’apparence de l’œuvre mais aussi de détecter les aspects les plus subtils des coups de crayon ou de pinceau de l’artiste. On obtient ainsi une sorte de « signature » de l’artiste qu’on peut comparer à celle de ses autres œuvres. Lyu et collaborateurs ont appliqué leur méthode à une série de dessins proches des œuvres de Breughel et appartenant au Metropolitan Museum of Art de New York. Leur analyse a permis de conclure que huit dessins correspondaient à une même main alors que cinq autres avaient des caractéristiques différentes. Cette classification corroborait le  fait que les huit premiers étaient connus pour être l’œuvre de Breughel alors que les cinq autres étaient des imitations.

Un autre problème fréquemment rencontré en histoire de l’art est celui de la collaboration de l’atelier à l’exécution de l’œuvre.

Lyu et collaborateurs ont étudié un tableau de Pérugin, la Madone à l’Enfant (Musée de Dartmouth). Ce tableau comporte six visages : celui de la Madone, de l’enfant Jésus et de quatre saints. L’analyse a porté sur la comparaison des visages. Il est apparu clairement que trois d’entre eux étaient de la même main alors que les trois autres différaient non seulement des premiers mais aussi entre eux. Ces conclusions confirment les données historiques : il est connu que Pérugin, assiégé de commandes vers 1490, à l’époque de la réalisation du tableau de Dartmouth, utilisait un vaste atelier pour répondre à la demande.

La mise en œuvre de la méthode décrite par Lyu et collaborateurs pourrait entraîner une véritable révolution non seulement dans l’étude de l’histoire de l’art mais aussi dans le fonctionnement du marché de l’art. Quelles chances y a-t-il pour que cette publication soit confirmée et débouche sur une application généralisée ? Un élément très favorable est le fait que ce travail n’a pas fait seulement l’objet d’une annonce médiatique, mais a été soumis pour publication à l’une des grandes revues scientifiques mondiales. Il a donc subi avec succès l’examen attentif des meilleurs spécialistes internationaux. Cependant, comme toujours en matière scientifique, il nous faudra attendre la confirmation indépendante de ces observations par d’autres chercheurs avant de pouvoir conclure.

Notes

(1) Siwei Lyu, Daniel Rockmore et Hany Farid : « A digital technique for art authentification », Proceedings of the National Academy of Sciences, USA, 2004, 7 déc., vol. 101, no 49, 17006-17010.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Vers un « profil ADN » des œuvres d’art

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