Antiquaire - Justice

Procès des faux meubles : Pallot condamné, Kraemer épargné

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2025 - 858 mots

La justice a condamné l’expert Bill Pallot et l’artisan Bruno Desnoues en deçà des réquisitions, tandis que la galerie Kraemer a été relaxée, et Versailles reconnue en partie responsable.

Pontoise (95). Le 11 juin dernier, le tribunal correctionnel de Pontoise, présidé par Angélique Heidsieck, a rendu son jugement dans l’affaire des faux sièges XVIIIe, mettant un terme (s’il n’y a pas appel) à une longue saga judiciaire – le trafic avait été révélé au grand jour en 2016, créant un véritable séisme dans le monde de l’art.

L’expert en siège XVIIIe, Bill Pallot, a été reconnu coupable d’avoir, entre 2008 et 2015, commandé au sculpteur ornemaniste sur bois, Bruno Desnoues, la fabrication d’une série de sept lots de sièges contrefaits (il en conteste deux) – soi-disant de provenance royale – et destinés à être vendus comme authentiques, notamment au château de Versailles et chez Sotheby’s, pour des sommes allant de 200 000 à 2 millions d’euros (et pour un montant infractionnel final évalué à 3,9 M€). Lors de l’audience, il avait réitéré ses aveux formulés en garde à vue, expliquant d’abord un« jeu », une provocation envers le marché, qui avait vite viré à l’appât du gain.Il a écopé d’une peine de quatre ans de prison dont quatre mois ferme (déjà accomplis en détention provisoire), assortis d’une amende de 200 000 euros – contre trois ans (dont deux avec sursis) et 300 000 euros requis par le procureur. Si, contrairement aux réquisitions, il conserve son appartement avenue Marceau, il est en revanche privé d’exercer la fonction d’expert dans quelque domaine que ce soit pendant cinq ans – ce qui laisse supposer qu’il pourrait continuer à exercer dans le milieu en tant que courtier ou marchand. « Je suis content de ne pas retourner en prison et que mon appartement ne soit pas saisi. En revanche, je ne comprends pas pourquoi j’ai une interdiction d’exercer pendant cinq ans. Si j’ai une amende à payer, cela va m’être difficile de la rembourser sans travailler », a confié le « père Lachaise » en sortant de la salle. « C’est plutôt la partie financière qui est dure », a-t-il ajouté. En plus des 200 000 euros d’amende, le tribunal l’a condamné à rembourser solidairement avec l’artisan Bruno Desnoues – également reconnu coupable et condamné à trois ans de prison dont quatre mois ferme déjà purgés en détention provisoire –, 100 000 € d’amende et une interdiction de gérer pendant cinq ans. Ensemble, ils devront indemniser les parties concernées pour les sièges n’ayant pas encore fait l’objet d’une restitution : soit 150 000 euros au château de Versailles pour la bergère de Sené, préemptée en 2011 chez Thierry de Maigret ainsi que 380 000 euros à Sotheby’s en compensation d’une chaise Jacob. Ils devront aussi dédommager la famille Guerrand-Hermès à hauteur de 530 000 euros, concernant une autre chaise Jacob vendue par l’intermédiaire de l’expert Éric Le Gouz de Saint-Seine – lui-même reconnu coupable et condamné à huit mois de sursis et 50 000 euros d’amende (dont 30 000 avec sursis). Au total, Bill Pallot devra rembourser 730 000 euros.

Versailles partiellement responsable

Pour autant, et contre toute attente, le tribunal a retenu un partage de responsabilité à hauteur de 25 % avec le château de Versailles, partie civile, considérant que l’établissement public « était doté de professionnels particulièrement compétents et n’a pas suffisamment organisé son processus d’acquisition afin de s’assurer de l’authenticité des objets acquis ». Ainsi, Pallot et Desnoues ne s’acquittent que de 75 % du coût de la bergère de Sené (acquise pour 200 000 €). « La décision n’est pas très sévère pour les deux principaux acteurs. Pas de prison ferme supplémentaire par rapport à la préventive qui a été effectuée, ils gardent leurs maisons... Au vu des sommes qui ont été engrangées dans le cadre de ce trafic, je pense que c’est un message qui est un petit peu faible. Parce que c’est un trafic aux mains propres, en col blanc, cela peut rapporter pas mal. Et finalement, quand on est pris la main dans le sac, on n’est pas condamné à très cher », a commenté l’avocate de Versailles, Maître Corinne Hershkovitch. Et d’ajouter : « Le tribunal a décidé de lui-même d’effectuer un partage de responsabilités alors que le parquet ne le demandait pas. Toutes les procédures ont été respectées. C’est vraiment les manœuvres diaboliques de Pallot qui ont projeté les conservateurs dans cette croyance absolue que le grand spécialiste ayant adoubé toutes ces chaises, il n’y avait pas de problème. »

Kraemer relaxé

L’antiquaire Laurent Kraemer – qui contestait toute complicité et affirmait avoir été trompé – a quant à lui été relaxé alors que le procureur, Pascal Rayer, avait retenu le délit de tromperie à son encontre et pointé sa négligence, requérant douze mois de prison avec sursis, 80 000 euros d’amende, la confiscation des saisies en numéraire et 700 000 euros d’amende pour la SA Kraemer & Cie. Le tribunal a donc écarté la tromperie et la négligence, indiquant « qu’il n’est pas établi en quoi Laurent Kraemer et la SA Kraemer & Cie ont manqué à leurs obligations professionnelles et commis une négligence dans les vérifications opérées sur l’authenticité des meubles vendus ». Les avocats de la galerie, Martin Reynaud et Mauricia Courrégé, se sont empressés de publier une déclaration de victoire.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Procès des faux meubles : Pallot condamné, Kraemer épargné

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque